Dossiers

RUSSIE - "Interview de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires Etrangères" - BBC, Moscou, 16 avril 2018

176329-lavrov-1.jpg

Question: La semaine dernière, le monde entier était profondément préoccupé par l'éventualité d'un conflit armé direct entre les USA et la Russie. D'après vous, dans quelle mesure sommes-nous proche d'un tel scénario?

Sergueï Lavrov: Je ne pense pas que nous soyons très proches. Je pense que cette situation a été créée par nos collègues occidentaux qui se sont comportés de manière très irresponsable. Ils ont accusé les autorités syriennes d'avoir utilisé des armes chimiques contre la population civile et en même temps ils nous ont accusés en tant qu'alliés du gouvernement syrien. Sachant qu'ils l'ont fait sans attendre que les inspecteurs de l'OIAC visitent les lieux. En réalité, c'est au moment précis où les représentants de l'OIAC étaient prêts à se rendre du Liban en Syrie que ces frappes ont eu lieu. Comme l'ont expliqué nos militaires, le canal de liaison pour empêcher des incidents imprévus (ce qu'on appelle le "deconflicting") fonctionne en permanence.

Question: Je voudrais préciser quelque chose et essayons d'éviter le jargon professionnel. Ai-je bien compris que les Etats-Unis et leurs alliés vous ont préalablement informés des frappes en préparation, et vous, de votre côté, vous avez assuré que la Russie ne riposterait pas?

Sergueï Lavrov: Je préférerais ne pas entrer dans les détails concernant ces contacts de travail entre nos militaires. Les militaires russes et américains ont un canal de liaison aussi bien entre les deux capitales qu'en Syrie même, et nos militaires discutent très professionnellement entre eux toutes ces questions. Ils se comprennent très bien. Ils comprennent probablement mieux que personne tout le risque de telles aventures.

Question: Monsieur Lavrov, cette crise n'est pas terminée, n'est-ce pas?

Sergueï Lavrov: Cela dépend de ceux qui ont organisé toute cette crise.

Question: En regardant les déclarations de vos diplomates, la conclusion s'invite d'elle-même. Par exemple, votre ambassadeur aux USA a déclaré que ces frappes aériennes ne resteraient pas sans conséquences. Vladimir Poutine l'a qualifié d'acte d'agression. Le monde veut savoir ce que la Russie a l'intention de faire?

Sergueï Lavrov: C'est un constat des faits. Et il y a forcément des conséquences. Je dirais que nous avons perdu les restes de confiance à nos amis occidentaux qui préfèrent s'appuyer dans leurs actions sur une logique très étrange – "il n'y a pas de punition sans culpabilité". Par exemple, ils nous punissent d'abord pour Salisbury et ensuite attendent que Scotland Yard termine l'enquête. D'abord ils punissent pour Douma en Syrie et ensuite ils attendent que les experts de l'OIAC viennent et examinent les lieux. Autrement dit, cette "troïka" de pays occidentaux agit selon le principe "si vous êtes punis, vous êtes coupables".

Question: En ce qui concerne les incidents que vous avez mentionnés – Douma et l'affaire Skripal – nous en reparlerons en détail avec vous. Mais d'abord je voudrais encore parler avec vous de l'état de nos relations diplomatiques. La Représentante permanente des USA auprès de l'Onu Nikki Haley a déclaré que les Etats-Unis restaient "en état opérationnel". Comment pouvez-vous réagir à ce genre de déclarations?

Sergueï Lavrov: Il me semble qu'il faut d'abord  remettre de l'ordre à la maison, à Washington. Nous pensons que les déclarations de ce genre peuvent être faites seulement par le chef des armées ou la direction militaire. Comme je l'ai dit, les militaires russes et américains disposent d'un canal de liaison pour prévenir les incidents imprévus, mais c'est une information confidentielle.

Question: Vous parlez de déficit de confiance, plus exactement vous parlez d'une absence totale de confiance.

Sergueï Lavrov: J'ai dit que nous avons perdu les restes de confiance. Les restes, ce n'est pas encore l'absence totale de confiance.

Question: Je voudrais vous poser une question très simple. Quand vous, Ministre russe des Affaires étrangères, vous vous levez le matin et vous lisez sur Twitter que le Président américain et chef des armées vous menace de facto et vous dit: "La Russie, tiens-toi prête! Des missiles beaux neufs et intelligents arrivent!", que pensez-vous à ce sujet?

Sergueï Lavrov: Je pense à ce sujet que le Président américain a écrit quelque chose sur Twitter.

Question: Et comment réagissez-vous à ses tweets?

Sergueï Lavrov: Comme on dit, tout se reconnaît en pratique. Nous avons décidé de voir comment ces missiles "beaux, neufs et intelligents" se montreront pendant les frappes. Selon nos estimations, les deux tiers des missiles n'ont pas atteint leur cible parce qu'ils ont été abattus.

Question: Mais vous n'avez aucune preuve, n'est-ce pas?

Sergueï Lavrov: Le Ministre russe de la Défense a présenté son appréciation et il est prêt pour une discussion professionnelle à ce sujet.

Question: Nous reviendrons encore sur la véracité de l'information fournie par tous les acteurs de ce conflit, mais à présent parlons un peu de diplomatie. La Première ministre britannique Theresa May et le Président français Emmanuel Macron ont clairement noté dans leurs déclarations que l'unique objectif de cette opération était d'empêcher l'usage de l'arme chimique par les autorités syriennes. L'opération n'avait pas pour but d'influencer le déroulement du conflit syrien et ne visait certainement pas à renverser le régime syrien à Damas.

Sergueï Lavrov: C'est eux qui ont dit ça.

Question: Et vous n'êtes pas d'accord?

Sergueï Lavrov: Non, nous ne sommes pas d'accord. Votre émission s'appelle "Hard  talk" – discussion difficile, or nous avons besoin de "hard facts" – des faits concrets. Et toutes ces déclarations sur le "highly likely" (très probablement) paraissent tout simplement dérisoires.

Question: Pardon, quand vous dites "très probablement", à quoi faites-vous allusion? La conclusion des experts que les forces du Président syrien Bachar al-Assad ont utilisé l'arme chimique à Douma?

Sergueï Lavrov: Non, quand  je parle de l'expression "highly likely", je veux dire que c'est une nouvelle invention de la diplomatie britannique derrière laquelle se cache le Royaume-Uni quand il punit les gens. Il déclare que ces gens sont "très probablement" coupables. Vous savez, dans Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll il y a la scène du procès, et quand le roi demande: "Faut-il d'abord écouter les jurés?", la reine crie: "Non! D'abord la condamnation et le verdict des jurés ensuite!" Voilà ce qu'est le "très probablement".

Question: D'accord, c'est votre avis. Parlons de ce qui s'est passé à Douma. Mais avant permettez-moi de poser une question très simple. La Russie s'oppose à l'usage de l'arme chimique et pense que ceux qui utilisent l'arme chimique doivent être sanctionnés, n'est-ce pas?

Sergueï Lavrov: Est-ce une question? Je pensais que vous étiez bien mieux informé concernant la position russe à ce sujet. Vous posez une question avec une réponse évidente.

Question: En effet, tout est évident – vous avez signé des accords appropriés, vous partagez la détermination de la communauté internationale à faire interdire complètement les armes chimiques.

Sergueï Lavrov: De plus, en 2017, nous avons terminé le programme de destruction de l'arme chimique en Russie, et cela a été officiellement confirmé par l'OIAC. Tout le Comité exécutif de l'OIAC a salué cette démarche. Alors que les USA, malheureusement, n'ont pas encore tenu leurs engagements, et au lieu de cela ils préfèrent le repousser éternellement.

Question: Très bien, admettons que ce sont des choses évidentes et que nous connaissons la position officielle de la Russie à ce sujet. Mais dans ce cas vous voulez que les coupables de l'usage des armes chimiques à Douma (et leur usage est confirmé par de nombreux témoignages) soient traduits en justice?

Sergueï Lavrov: Attendez, attendez. Vous jonglez à nouveau avec les faits. Il n'y a aucune preuve de l'usage des armes chimiques à Douma le 7 avril.

Question: Mais après tout le Président français Emmanuel Macron et d'autres représentants français ont clairement dit qu'ils disposaient d'informations sur les vols d'hélicoptères syriens gouvernementaux au-dessus de Douma. Ils ont des photos de ballons de gaz retrouvés sur les lieux de l'attaque. De plus, nous savons que ces dernières années les autorités syriennes ont utilisé les armes chimiques plus d'une fois.

Sergueï Lavrov: Je ne peux pas me permettre de m'exprimer de manière impolie envers d'autres chefs d'Etat (ni envers le chef de mon Etat, évidemment). Vous avez cité des dirigeants de la France, du Royaume-Uni et des USA. Mais franchement, toutes les preuves auxquelles ils se réfèrent sont tirées des médias et des réseaux sociaux. Par exemple, les ballons mentionnés. J'ai vu cette photo – un ballon de gaz sur un lit, alors que le lit n'est pas cassé, la fenêtre n'est pas brisée. Ecoutez, soyons plus sérieux. Très bien, expliquez-moi une chose: pourquoi bombarder si le lendemain les inspecteurs de l'OIAC devaient se rendre sur les lieux pour tout examiner?

Question: Le représentant américain de l'OIAC dit qu'il y a de sérieuses raisons de craindre que la Russie tentait de détruire les preuves à Douma. Pouvez-vous affirmer de votre côté que la Russie ne faisait rien de tel?

Sergueï Lavrov: Oui, je peux. Mais je veux dire que c'est la même logique que chez Theresa May concernant Salisbury. Quand nous avons posé des dizaines de questions, quand nous avons demandé d'organiser une enquête conjointe, quand nous avons demandé d'accorder un accès au processus de prélèvement d'échantillons, elle répondait qu'ils ne répondront à aucune question tant que la Russie ne répondra pas aux leurs. Or la seule question qui nous était posée était celle-ci: "Expliquez comment vous l'avez organisé. C'est Vladimir Poutine qui a ordonné d'empoisonner ces deux malheureuses personnes? Ou vous ne contrôlez plus vos réserves d'armes chimiques?" Pour une personne raisonnable cette situation doit être parfaitement claire. Mais revenons à Douma.

Question: Oui, revenons à Douma et à la question de savoir qui on peut croire ou non. Vous avez d'abord déclaré qu'il n'y avait aucun incident à Douma. Puis vous avez changé de position et déclaré que quelque chose s'est effectivement produit, mais que c'était une mise en scène fabriquée par des pays russophobes.

Sergueï Lavrov: En effet, il n'y avait pas d'incident. Il y a eu une mise en scène. Aucune arme chimique n'a été utilisée.

Question: Vous pensez que le Royaume-Uni est impliqué dans cette imitation de l'usage de l'arme chimique à Douma?

Sergueï Lavrov: A ce sujet l'histoire connaît plusieurs précédents de ces dernières décennies. Ce que nous pensons effectivement et que nos renseignements pourraient partager les informations nécessaires avec les collègues britanniques c'est…

Question: Mais vous dites que vous avez des preuves irréfutables que c'est un faux, un fake, une mise en scène. Vous dites que les volontaires des Casques blancs y sont impliqués. Où sont vos preuves irréfutables?

Sergueï Lavrov: Pour obtenir les preuves irréfutables il faut que les experts examinent les lieux.

Question: Où sont les preuves irréfutables que tout cela a été organisé par les Casques blancs avec le soutien du gouvernement britannique? Vous remettez en question les paroles des autres. Mais peut-on vous croire?

Sergueï Lavrov: Je disais que les Casques blancs, on le sait, travaillent uniquement sur le territoire contrôlé par l'opposition, notamment le groupe Front al-Nosra. On sait qu'il y a un an les Casques blancs sonnaient le beffroi concernant le prétendu incident qui se serait produit à Khan Cheikhoun qui s'est avéré être un fake du début à la fin. Tout le monde sait que les Casques blancs sont financés par plusieurs pays, le Royaume-Uni y compris.

Question: Mais ce ne sont pas des preuves irréfutables?

Sergueï Lavrov: Une seconde. Des preuves irréfutables de quoi?

Question: Vous avez dit avoir des preuves irréfutables qu'un pays russophobe (faisant allusion au Royaume-Uni) travaillait conjointement avec les Casques blancs pour mettre en scène l'incident.

Sergueï Lavrov: Une seconde. Pourquoi avez-vous décidé que je faisais allusion au Royaume-Uni? Il ne faut pas me faire dire ce que je n'ai pas dit. J'ai dit "un Etat qui cherche à être le premier dans les rangs de la campagne russophobe". Alors essayez de me citer sans déformer, sinon ce n'est pas très professionnel.

Alors, en parlant de preuves irréfutables, les inspecteurs de l'OIAC ont accepté de mener une enquête pour savoir ce qui s'est passé à Douma. Ils sont venus au Liban. Les autorités syriennes ont dit qu'ils obtiendraient immédiatement leur visa en arrivant à la frontière. Sept heures après cela la Syrie a été frappée. Pourquoi le faire à la veille de l'arrivée des inspecteurs?

Question: S'il s'avérait que les gouvernements de la France, du Royaume-Uni et des USA avaient raison et que vous aviez tort, et si le Président syrien Bachar al-Assad continuait d'utiliser l'arme chimique, comme il l'a fait en 2013 dans la Ghouta faisant des milliers de morts, comme il l'a fait il y a un an à Khan Cheikhoun ou comme il vient de le faire à Douma (selon les Américains et leurs alliés), s'il s'avérait qu'ils ont tous raison et que vous avez tort, vous reconnaitrez que le Président syrien Bachar al-Assad doit être sanctionné?

Sergueï Lavrov: Vous savez, vous ne m'entendez pas. Plus exactement vous ne m'écoutez pas. Je viens de dire que l'acte d'agression a été commis moins d'une journée avant l'arrivée sur les lieux de l'incident supposé des inspecteurs internationaux, dont des citoyens américains, si je comprends bien.

Maintenant, en ce qui concerne ce qui s'est passé il y a un an à Khan Cheikhoun. C'était le 4 avril. Le lendemain le Secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson m'a téléphoné et a demandé d'obtenir des autorités syriennes un accord pour permettre aux inspecteurs internationaux d'examiner la base aérienne d'où a décollé l'avion qui aurait embarqué cette bombe chimique. Le lendemain matin nous avons dit aux Américains que l'accord était obtenu. Ils ont répondu, "non, merci" et ont frappé le lendemain. Nous avons demandé que les inspecteurs de l'OIAC se rendent sur les lieux, mais on nous a répondu que c'était très dangereux et que dans tous les cas ce n'était pas nécessaire parce que les Britanniques et les Français possédaient déjà tous les échantillons nécessaires. Nous avons alors demandé aux Britanniques et aux Français de nous expliquer comment ils avaient réussi à obtenir les échantillons dans un endroit aussi dangereux. Peut-être qu'ils ont des contacts avec les Casques blancs qui contrôlent ce territoire. Ils ont répondu que ces informations étaient confidentielles. Alors nous avons bien plus de faits que nous voudrions éclaircir et bien plus de questions légitimes en réponse aux questions que nous entendons de la part des dirigeants et des médias occidentaux: "Pourquoi l'avez-vous fait? Pourquoi avez-vous utilisé l'arme chimique au Royaume-Uni? Pourquoi couvrez-vous Bachar al-Assad?" Et maintenant vous vous appuyez sur ces déclarations pour dire: "Et s'il s'avérait que vous aviez tort, alors quoi?" C'est très intéressant.

Question: Vous êtes le chef de la diplomatie russe. Si d'autres incidents chimiques se produisaient et les USA, le Royaume-Uni, la France et d'autres pays décidaient que c'est l'œuvre de Bachar al-Assad, il y aurait de nouvelles frappes encore plus massives. Quel pourrait être le résultat? Est-ce que la Russie prendra des contremesures?

Sergueï Lavrov: Avant de parler de "futurs incidents" il faut d'abord prouver que Bachar al-Assad a effectivement utilisé l'arme chimique.

Question: J'ai posé une question très simple et le monde veut connaître la réponse. Selon Nikki Haley, les USA sont en "état opérationnel à part entière". Si Washington soupçonnait à nouveau Bachar al-Assad de l'usage des armes chimiques, indépendamment de votre avis, il utiliserait à nouveau la force et la frappe serait encore plus massive. Comment réagirait la Russie?

Sergueï Lavrov: Je ne fais pas de divinations, j'opère avec des faits. Il y a quelque temps trois pays occidentaux, qui propagent actuellement cette hystérie, ont averti qu'en cas d'utilisation par Bachar al-Assad de l'arme chimique ils utiliseraient la force. Je le considère comme un signal aux "mauvais gars", notamment aux Casques blancs pour organiser des provocations. Maintenant, après la frappe aérienne du 14 avril, ils disent à nouveau qu'en cas d'incidents ils réutiliseront la force. En fait, c'est un signal aux combattants et aux extrémistes pour relancer les activités militaires, et ils ont réagi. Immédiatement après la frappe aérienne ils ont tenté de lancer une offensive contre Damas. Mais voici ce que je veux dire maintenant. Quand quelqu'un tente de rejeter sur la Russie la responsabilité pour l'accomplissement par Bachar al-Assad des engagements dans le cadre de la CIAC, c'est tout simplement révoltant. Nous avons mené ce travail conjointement avec les USA.

Question: Une dernière question sur la diplomatie avant d'aborder d'autres thèmes. Aujourd'hui les USA proposeront au Conseil de sécurité des Nations unies d'examiner une nouvelle résolution qui a pour but d'avertir Bachar al-Assad au nom de la communauté internationale de l'inadmissibilité de l'usage des armes chimiques. Êtes-vous prêt à coopérer avec les USA à l'Onu? Cesserez-vous d'apposer le veto sur toutes les résolutions proposées par les USA et leurs alliés?

Sergueï Lavrov: Nous n'apposons pas le veto sur toutes les résolutions. S'il est question de la reprise du mécanisme d'enquête qui n'est pas transparent ni indépendant et qui lui-même émet la sentence sans attendre le verdict du Conseil de sécurité des Nations unies, alors évidemment nous y seront opposés…

Question: Vous serez donc opposé.

Sergueï Lavrov: Steve, s'il vous plaît, laissez-moi finir. A quoi sert cette résolution? Je pense que c'est fait dans un seul et unique but: si la Russie et la Syrie acceptaient de coopérer, ce qui est impossible en soi, mais si nous acceptions ils voudraient le présenter de sorte que nous avons accepté les négociations en craignant leurs bombes. C'est pourquoi la résolution exige que les autorités syriennes doivent accepter les négociations. Tout en faisant l'impasse sur le fait que le principal groupe d'opposition qu'ils soutiennent, ce qu'on appelle le groupe de Riyad en la personne de son président Nasser al-Hariri, a appelé les USA à utiliser la force militaire pas seulement en cas d'utilisation de l'arme chimique, mais partout où l'opposition lutte contre les forces gouvernementales.

Question: Quelques brèves questions. Pensez-vous que Bachar al-Assad est sorti en vainqueur de l'interminable guerre syrienne? 

Sergueï Lavrov: Il ne faut pas penser aux vainqueurs et aux vaincus, ni à Bachar al-Assad ou ses opposants. Il faut penser avant tout au peuple syrien qui a besoin d'un répit des horreurs de 8 ans de conflit.

Question: Quel est l'objectif final de la Russie en Syrie? Ces derniers temps Moscou y envoie de plus en plus de matériel et d'effectifs. Est-ce que cela signifie que vous avez l'intention d'aider Bachar al-Assad tant qu'il ne contrôlera pas chaque centimètre du territoire syrien?

Sergueï Lavrov: Notre objectif consiste à protéger la Syrie contre l'agression qui a commencé le 14 avril et laquelle ces trois pays, comme ils déclarent, ont l'intention de poursuivre.

Question: Avez-vous l'intention de livrer au Président syrien Bachar al-Assad votre tout nouveau système antiaérien S-300? Si oui, cela pourrait préoccuper sérieusement Israël.

Sergueï Lavrov: Le Président russe Vladimir Poutine a déjà répondu à cette question. Il a rappelé qu'il y a quelques années à la demande de nos partenaires nous avions décidé de ne pas livrer les S-300 en Syrie. A présent, après un acte d'agression révoltant des USA, de la France et du Royaume-Uni, nous étudierons les options pour assurer la sécurité de l'Etat syrien.

Question: Si je comprends bien, les événements de ces derniers jours vous ont poussé à revoir votre position et maintenant vous êtes enclins à fournir ces systèmes de défense antiaérienne modernes en Syrie?

Sergueï Lavrov: Maintenant nous sommes prêts à étudier toutes les possibilités pour aider l'armée syrienne à prévenir l'agression.

Question: Au moins 500 000 personnes ont été tuées en sept ans de guerre en Syrie. Au moins 12 millions de personnes ont dû quitter leur foyer. Au moins 5 millions d'entre elles se sont retrouvés en dehors de la Syrie. Vous pensez sérieusement que Bachar al-Assad est capable d'unir le pays, de guérir les blessures et de diriger la Syrie?

Sergueï Lavrov: Nous n'avons jamais rien dit de tel. Notre approche se reflète dans la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies – ce sont les Syriens eux-mêmes qui doivent décider du sort de la Syrie. Il faut une nouvelle Constitution, des élections, et que les Syriens décident eux-mêmes. Les tentatives incessantes de faire éclater la Syrie en morceaux vont à l'encontre de ce qui est dit publiquement et au niveau officiel. D'ailleurs la Syrie n'est pas la seule à souffrir des terribles conséquences de la guerre civile. Regardez l'Irak et la Libye. Et maintenant ceux qui ont mis ces pays dans un tel état veulent que la même chose soit faite en Syrie.

Question: Maintenant parlons un peu de l'affaire de Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia qui ont été empoisonnés dans la ville de Salisbury au sud de l'Angleterre. Aujourd'hui, dans cette interview, vous avez dit que la confiance était importante. Vous, Ministre russe des Affaires étrangères, affirmez que les services britanniques connus pour leurs capacités d'agir avec la "licence pour tuer" sont impliqués dans cet incident. Peut-être que ces derniers propos étaient une plaisanterie de votre part. Dites, vous pensez vraiment que votre version sera prise au sérieux?

Sergueï Lavrov: On nous a dit que "très probablement" les Skripal ont été empoisonnés par les Russes parce qu'il n'existe aucune autre explication plausible. C'est pourquoi nous avons répondu qu'il existait d'autres versions plausibles.

Question: Mais votre version n'est certainement pas plausible!

Sergueï Lavrov: Et pourquoi donc?

Question: Avez-vous la moindre insinuation de preuve que les services britanniques sont impliqués dans l'attentat contre Sergueï Skripal?

Sergueï Lavrov: Les Romains avaient déjà un proverbe "cherche à qui profite le crime". Je pense que la provocation aussi bien en Syrie que sur le territoire britannique a été très opportune pour le Royaume-Uni. Aujourd'hui le Royaume-Uni se retrouve sur le devant de la scène de la politique mondiale par un tel moyen très négatif, agressif et étrange.

Question: Permettez-moi de noter l'incohérence de votre position. Pendant l'interview vous avez souligné l'attachement de la Russie à toutes les conventions et accords internationaux sur l'interdiction des armes chimiques.

Sergueï Lavrov: C'est exact.

Question: Et vous soutenez notamment l’activité de l‘OIAC

Sergueï Lavrov : C’est exact

Question: Vous savez mieux que moi que l'OIAC a envoyé les échantillons de la substance neuro-paralytique utilisée à Salisbury à quatre laboratoires différents, et tous ont confirmé qu'il s'agissait de "Novitchok" (comme le disait le gouvernement britannique) de niveau de pureté élevé.

Sergueï Lavrov: Et c'est précisément le problème. L'usage en soi de la substance A-234 de niveau de pureté élevé et à très forte concentration est suspect.

Question: C'est une substance russe. Tout le monde sait que ce gaz neuro-paralytique a été inventé en Union soviétique.

Sergueï Lavrov: Restons-en aux faits. Vous êtes peut-être un as pour poser des questions dures, mais il faut aussi savoir écouter ! En effet, cette substance a été élaborée en Union soviétique, mais ensuite l'un de ses inventeurs s'est enfui aux USA et a publié la formule en accès libre. Vous pouvez vous-même vérifier cette information avant de poser des questions. Les USA ont même breveté cette formule et cette substance est officiellement en service dans les renseignements américains ou par les militaires. A-234 est une substance qui tue rapidement et ensuite elle s'évapore rapidement. C'est pourquoi nos chercheurs disent que les échantillons prélevés deux semaines plus tard ne peuvent certainement pas contenir une "très forte concentration" de cette substance.

Question: Nous revenons à nouveau à la question de savoir qui l'on croit ou non. Peut-être quelqu'un le croit en Russie, mais pas dans le reste du monde. Plus de 100 diplomates russes ont été expulsés de 20 pays occidentaux parce qu'ils estiment que c'est la Russie qui est coupable.

Sergueï Lavrov: Si vous voulez tout de même parler sur le fond, permettez-moi d'ajouter ceci. Samedi nous avons présenté un document avec les conclusions du Centre suisse d'analyse radiologique et chimico-biologique de Spiez (l'un des laboratoires que vous avez mentionnés) qui a effectivement découvert une "forte concentration" d'A-234, mais hormis ça…

Question: Enfin faites-vous ou non confiance à l'OIAC. La question est très simple. De toute évidence vous ne leur faites pas confiance.

Sergueï Lavrov: Ecoutez, pour un Britannique vous avez d'horribles manières. Alors, ce laboratoire suisse écrit qu'ils ont d'abord découvert la substance BZ inventée, si je ne m'abuse, en 1955 aux USA et mis en service dans les armées américaine et britannique. Nous avons envoyé à l'OIAC, à laquelle nous faisons confiance, une requête pour confirmer ou réfuter qu'en plus de l'A-234 le laboratoire suisse avait découvert dans les échantillons du BZ. Maintenant nous attendons une réponse de l'OIAC, à laquelle nous faisons confiance, évidemment. Mais comme on dit, la confiance n'exclut pas le contrôle.

Question: Il ne nous reste pratiquement plus de temps et je dois encore vous poser une question sur les sanctions. Le ministère américain des Finances s'apprête à annoncer de nouvelles sanctions contre des personnes et des compagnies russes qui, estime-t-on, sont liées aux militaires syriens. Le marché boursier russe avait sérieusement fléchi à cause des sanctions précédentes décrétées par le gouvernement américain. La Russie est au pied du mur.

Sergueï Lavrov: Bon, merci pour la compassion. Mais ne vous inquiétez pas, nous allons nous en sortir.

Question: Le marché boursier s'est effondré de 10%, le rouble a chuté par rapport au dollar.

Sergueï Lavrov: N'avez-vous pas connu de périodes difficiles? Vous vous souvenez, George Soros avait joué contre votre marché boursier et avait fait effondrer la livre? Ils ne menacent pas simplement de punir ceux qui ont des contacts avec le gouvernement syrien. En fait, ils veulent punir tout le peuple russe pour avoir fait le "mauvais" choix à l'élection présidentielle. Ils déclarent qu'ils ne nuiront jamais aux gens ordinaires, mais seulement aux oligarques, aux politiciens et aux militaires qui déstabilisent soi-disant le monde. C'est faux. Leur véritable souhait consiste à causer des problèmes aux centaines de milliers de Russes.

Question: Et c'est votre point faible. La Russie dispose peut-être du plus puissant arsenal nucléaire, comme le décrivait en couleur le Président russe Vladimir Poutine, mais l'économie russe est faible et vulnérable.

Sergueï Lavrov: Oui, c'est le cas et nous le savons. Mais notre économique a franchi de nombreuses épreuves depuis la Seconde Guerre mondiale. Je peux vous assurer que le gouvernement et le Président ont conscience de toute la nécessité de réformes, et c'est ce qui était le thème principal de la première partie de l'allocution du Président russe à l'Assemblée fédérale. Alors que dans la deuxième partie le Président Vladimir Poutine a parlé de nouveaux armements en concluant par l'idée que nous sommes toujours prêts au dialogue sur la base du respect réciproque et de l'équilibre des intérêts.

Question: Et dernière question. Le Secrétaire général de l'Onu Antonio Guterres a déclaré récemment que le monde était à nouveau plongé dans une guerre froide, mais si auparavant il existait des mécanismes qui prévenaient la possibilité d'escalade entre les USA et l'URSS, aujourd'hui ces mécanismes semblent absents. Cette conclusion est terrifiante. Vous travaillez à votre poste depuis 13 ans. Peut-on qualifier la période actuelle de la plus terrible dans votre mémoire?

Sergueï Lavrov: En ce qui concerne les mécanismes dont vous parlez, l'un d'eux est le canal de communication. Les canaux de communications entre Moscou et Londres ont été fermés à l'initiative britannique. Les contacts pour la lutte antiterroriste ont cessé. Le dialogue entre les militaires a cessé encore plus tôt et une fois de plus à l'initiative de Londres. Le Conseil Otan-Russie, un mécanisme très productif pour accroître la confiance et la transparence dans les relations, a de facto cessé son travail. A présent l'Otan voudrait parler sur cette plateforme uniquement de l'Ukraine. L'UE a également fermé toutes les plateformes et communique avec nous uniquement sur la Syrie et certaines autres questions.

Question: Mais vous avez le sentiment qu'une nouvelle guerre froide a commencé?

Sergueï Lavrov: Selon moi, la situation actuelle est pire que pendant la Guerre froide parce qu'à l'époque il y avait au moins des canaux de communication et il n'y avait pas d'une telle russophobie hystérique. Alors que ce que nous voyons aujourd'hui est une sorte de génocide par les sanctions.

Question: Autrement dit, vous pensez qu'aujourd'hui la situation est pire qu'à l'époque de la Guerre froide?

Sergueï Lavrov: Oui, précisément à cause de l'absence de canaux de communication. Du moins il n'en reste pratiquement plus.

Question: En d'autres termes, la situation devient très dangereuse.

Sergueï Lavrov: Il ne reste à espérer que cette idée viendra en tête à d'autres de vos compatriotes, notamment au gouvernement.

Question: C'est difficile de se rappeler une autre période historique quand la Russie semblait aussi isolée. Votre pays est devenu exclus. Cet été la Russie reçoit la Coupe du monde de football, et le Ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson l'a déjà comparée à l'organisation par Adolf Hitler en 1936 des Jeux olympiques à Berlin.

Interview du Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov pour l'émission "Hard talk" sur la chaîne BBC, Moscou, 16 avril 2018

Sergueï Lavrov: En 1938, c'est-à-dire après cette Olympiade, a été joué le match entre le Royaume-Uni et l'Allemagne. Vous pouvez trouver sur internet la photo de ce match où avant le jeu les joueurs allemands et britanniques font le salut nazi.

Question: Que voulez-vous dire?

Sergueï Lavrov: Je n'ai pas l'intention de parler de Boris Johnson. Nous avons déjà parlé avec lui pendant sa récente visite à Moscou. Qu'il se divertisse.

Question: Notre temps est écoulé. Sergueï Lavrov, merci beaucoup d'avoir participé à l'émission "Hard talk".

SOURCE:

http://www.mid.ru/ru/foreign_policy/news/-/asset_publisher/cKNonkJE02Bw/content/id/3172318?p_p_id=101_INSTANCE_cKNonkJE02Bw&_101_INSTANCE_cKNonkJE02Bw_languageId=fr_FR

Mot clés : russie - serguei Lavrov - BBC

Derniers commentaires

Anne-Marie : On apprend aussi une interconnexion avec les chefs Islamistes de Syrie venus combattre en Ukraine... * "Les terroristes de Moscou avaient fuit vers…
sur Attentat à Moscou : Poutine promet que tous les responsables seront « punis »

Paul De Florant : Encore la CIA, le MI6 et le GUR Comme nous l'indique JLPujo via le groupe Hermes (Renseignements police&armée) de Politique-actu / PenserlaFrance…
sur Attentat à Moscou : Poutine promet que tous les responsables seront « punis »

Isabelle de Chritus : Un traitre a la Nation ! Un idéologue sans vision ! Comme le résume jluc Pujo pour Penser la France : «  #JacquesDELORS est mort ! Vive…
sur Jacques Delors : une cérémonie d’hommage national aux Invalides, le 5 janvier

Paul De Florant : VETO des USA - CONSEIL DE SECURITE - ONU - Cessez-le-feu immédiat à Gaza ! le "NIET" de Washington ! "Vote scandaleux" comme l'écrit JLPujo:…
sur Guerre Hamas-Israël : intenses combats dans le sud de la bande de Gaza

Anne-Marie : #Hanouka a l’#Elysee ? "Une honte !" pour Jean-Luc Pujo / Penser la France. "Même le #CRIF morigène #Macron et le #Consistoire ! Si même le…
sur Hanouka à l’Élysée : les louvoiements d’Emmanuel Macron sur la laïcité

Thématiques : AFGHANISTAN - AFRIQUE - Agriculture - Alain JUPPE - ALGERIE - Algérie - Alimentation - ALLEMAGNE - Amérique Centrale - Amérique du Sud - André Bellon - ANGLETERRE - Anne-Cécile Robert - Annie Lacroix-Riz - Armée française - ASIE - BANQUE MONDIALE - BRESIL - Bruno Le Maire - Catholicisme - CENTRE AFRIQUE - Chanson & Poésie - CHINE - CHINE - Christian Perronne - Christianisme - Cinéma - Clément Beaune - CNR - Communisme - COVID19 - COVID19 - Crypto & Blockchains - CUBA - CULTURE - Défense - Demographie - Demographie Mondiale - Didier Raoult - Diplomatie française - DROIT - Ecologie & environnement - Economie - Edouard Philippe - EDUCATION - Egalité Femme & Homme - Election Européenne - Elections régionales - Elisabeth BORNE - Emmanuel Macron - Emmanuel MACRON - Energie - Enfance - Environnement - Eric ZEMMOUR - Eric Zemmour - ESPAGNE - Etienne Tarride - EURO - euro - Européenne 2024 - Fabien Roussel - Fadi Kassem - Fiscalité - FMI - France-Allemagne - François Asselineau - François ASSELINEAU - François Bayrou - François Hollande - François Ruffin - Francophonie - francophonie & Langue française - G20 - G7 - Gabriel Attal - Gaullisme - Georges Gastaud - Gérald Darmanin - Gérard Larcher - Guadeloupe & Martinique - HISTOIRE - Humanisme - Immigration - Immigration - INDE - INDE - INSTITUTION - IRAK - IRAN - ISLAM - Islamisme - ISRAEL - ISRAËL & PALESTINE - ITALIE - Jacques CHEMINADE - Jacques Cotta - JAPON - Jean Castex - Jean-Luc Melenchon - Jean-Luc Pujo - Jean-Pierre Chevenement - Jean-Pierre Raffarin - Judaisme - Justice - Justice - Laïcité - Laicité - Législative 2017 - Léon Landini - LIBAN - Libéralisme - LIBYE - lutte sociale - Lutte Sociale & Combat social - MACHREK - MAGHREB - Maison de France & Monarchie - MALI - Manuel Bompard - Marine LEPEN - Marine LEPEN - Marlène Schiappa - Medecine - Medecine sous Hyppocrate - MEDIAS - MER - Mexique - Michel Houellebecq - Michel Onfray - MUSIQUE - Nathalie Arthaud - Nations d'Europe - Nicolas Dupont-Aignan - Nicolas Sarkozy - NIGERIA - Nucléaire - OCS - OCS - OMC - ONU - ONU - Nations Unies - OTAN - OTAN - PAKISTAN - PALESTINE - Patriotisme - Pauvreté - précarité - Penser la France - POLICE & Sécurité - Pour une Constituante - PRC - PRCF - Présidentielle 2017 - Présidentielle 2022 - Protestantisme - QUEBEC - QUEBEC - RéinfoCovid 2022 - Relations Internationales - RELIGION - Roland Hureaux - RUSSIE - RUSSIE - RUSSIE - SANTE - SANTE - Sciences & Recherche - Sciences&Technologie - SERVICE PUBLIC - SPORT - Syndicats - SYRIE - TURQUIE - UKRAINE - Ukraine - Union européenne - USA - USA - Valérie Bugault - Valérie PECRESSE - Valérie Pecresse - VENEZUELA - VENEZUELA - Venezuela - Yaël Braun-Pivet