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RENSEIGNEMENT (FR) : "Rapport 2015 de la délégation parlementaire au renseignement" (DOSSIER ARCHIVE)

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Le 17 février 2016 - Communication de M. Jean-Pierre Raffarin, président et audition conjointe de M. Bernard Bajolet, DGSE et de M. Patrick Calvar, DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) 

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M. Jean-Pierre Raffarin, président. - -Je remercie les directeurs généraux de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) de se présenter devant notre commission. La délégation parlementaire au renseignement (DPR) - dont le rapport annuel, remis le 3 février au Président de la République, sera rendu public prochainement après toilettage éventuel des informations protégées par le secret de la défense nationale - compte quatre députés et quatre sénateurs, dont deux issus de la commission des affaires étrangères et deux de la commission des lois.

Malgré les demandes qui lui sont souvent adressées, la DPR n'a pas voulu, dans ce rapport, se placer en position d'inspecteur : elle n'est pas une commission d'enquête, et rien n'est pire que de prétendre exercer un contrôle sans en avoir les moyens. Nous souhaitons, en revanche, que soit lancée rapidement une véritable politique publique d'évaluation du renseignement.

Cette évaluation reposerait d'abord sur des dispositifs de contrôle interne (beaucoup a déjà été accompli en la matière).

Le deuxième pilier est l'évaluation externe, qui doit être conduite par un service d'inspection permanent et doté des compétences techniques nécessaires, non par des missions constituées au cas par cas par des membres issus d'autres services d'inspection. Cette unité serait à la disposition de l'exécutif, mais aussi de la DPR qui, dans le respect des impératifs de confidentialité, pourrait avoir une véritable politique d'évaluation, avec notamment l'objectif de diffuser les bonnes pratiques observées dans certains services.

Il convient également de réfléchir sur les modalités d'une information plus large du Parlement par la DPR, qui détient beaucoup d'informations classées secret défense.

La loi sur le renseignement de 2015 - à la préparation de laquelle la DPR, sous la présidence de Jean-Jacques Urvoas, a contribué - a été rapidement mise en oeuvre, en particulier, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) est déjà créée. J'insiste à ce propos sur l'importance du nombre de services dits « du deuxième cercle », c'est-à-dire autorisés à mettre en oeuvre des techniques de renseignement alors que certains ne constituent pas des services spécialisés de renseignement : il est essentiel d'assurer la traçabilité de l'usage qu'ils en feront.

Votre présence simultanée apporte un contrepoint bienvenu au message, seriné par les médias, selon lequel vos services seraient en guerre permanente. Pour notre part, nous avons, en vous voyant travailler, une impression plus nuancée. Nous serions intéressés par votre avis sur ce point. Sachez enfin que, conscients que vous servez notre République dans des conditions extrêmement difficiles, nous sommes très sensibles aux responsabilités qui pèsent sur vous.

M. Patrick Calvar, directeur général de la Sécurité intérieure. - Chaque attentat sur notre territoire est vécu par nos services comme un échec. Or un éditorial paru récemment dans la revue francophone de Daech, Dar al-Islam, nous menace en ces termes : « La question n'est pas de savoir si la France sera de nouveau frappée par des attentats comme ceux de novembre dernier. Réveillez-vous, pauvres fous ! Les seules questions pertinentes concernent les prochaines cibles et la date ».

Un rapide examen rétrospectif des attentats du 13 novembre met en évidence les éléments suivants : la décision est prise, et la structure mise en place en Syrie ; les opérateurs sont des combattants aguerris qui, face à l'armée de Bachar el-Assad, sont devenus des professionnels de la guerre et ont perdu toute humanité. Ils sont prêts à mourir, comme ils l'ont prouvé lors des attentats, en toute connaissance de cause : contrairement à ce que l'on a pu entendre, aucun d'entre eux n'avait consommé de stupéfiants.

Les modes opératoires sont professionnels : ils ont emprunté plusieurs routes pour rejoindre le territoire ; deux des terroristes, de nationalité irakienne, sont passés par l'île de Leros, en Grèce. Ils ont utilisé de nombreux moyens de communication éventuellement chiffrés - le chiffrement est un enjeu vital qui dépasse largement les débats à l'intérieur de nos frontières. Deuxième principe opératoire, le regroupement à l'extérieur de nos frontières, en Belgique, où la logistique de l'opération est mise en place, notamment l'acquisition d'armes. Il est envisagé de durcir fortement la législation sur les armes, comme la Grande-Bretagne l'a fait après la fusillade de Dunblane. Des appartements en France ont été réservés depuis la Belgique, des véhicules ont aussi été loués en Belgique, en vue d'une projection sur le territoire français. Le coordonnateur, toujours non identifié ni localisé, opérait depuis le territoire belge.

Autre élément caractéristique, le choix de cibles dites « molles » avec l'objectif de faire le maximum de victimes, et des modes divers : l'attentat-suicide au Stade de France, les fusillades au Bataclan et sur les terrasses. Aucune cellule logistique n'a été décelée sur notre territoire. Salah Abdeslam n'est pas mort au cours de l'opération, soit qu'il ne l'ait pas voulu, soit que l'engin explosif qu'il portait n'ait pas fonctionné. De fait, afin de fuir, il a dû faire appel à des amis en Belgique afin qu'ils le récupèrent. Quant à Abdelhamid Abaaoud, le responsable opérationnel sur le terrain, il a trouvé refuge dans des buissons et, cherchant à regagner la Belgique, a pris contact avec sa cousine Hasnaa Ait Boulahcen, une personne guère islamisée, cocaïnomane, dont les erreurs grossières - cela a été notre chance - ont rendu possible notre intervention.

Que faire contre les terroristes ? Il faut d'abord un renseignement en amont, des contrôles aux frontières sur la base de documents biométriques, un croisement des fichiers, une coopération nationale, européenne et internationale. Nous devons désormais raisonner à l'échelle de la francophonie. La majorité des individus passés à l'action le 13 novembre sont des Français mais qui ont vécu en Belgique ; de nombreux combattants venus de Tunisie, du Maroc ou d'Algérie sont présents en Syrie et pourraient être utilisés sur le sol européen. Nous avons récemment arrêté des personnes parties de France pour la Libye afin de rejoindre Daech. Nous aurons aussi à faire face aux vétérans de Syrie et d'Irak. À cet égard, souvenons-nous du rôle des « Afghans » dans la création du Groupe islamique armé algérien, responsable des attaques de 1995. Enfin, au-delà de Daech, n'oublions pas Al-Qaeda qui projette de son côté une attaque majeure pour redorer son blason au sein de la communauté islamiste.

Depuis le début de l'été, nous avons bloqué six projets terroristes. Parmi ceux-ci des membres de Daech basés en Syrie ont invité les contacts qu'ils ont sur notre territoire à rester sur place pour y préparer des opérations. La dangerosité des individus engagés n'est cependant pas de même nature.

Autre aspect de la menace, les appels à la violence sur les réseaux sociaux, dont l'impact sur notre jeunesse peut être particulièrement efficace, surtout auprès de ceux qui sont dépourvus de connaissances religieuses, et qui n'ont pas d'alternative à l'islam radical pour exprimer leur colère, leur opposition à notre société.

Enfin, ceux que nous appelons les velléitaires et qui voudraient s'engager mais ne franchissent pas le Rubicon. Ils se livrent à un terrorisme de basse intensité fait d'attaques individuelles : l'assassinat d'un chef d'entreprise, les coups de couteau portés contre des militaires en faction.

N'oublions pas non plus les anciens islamistes passés sous les radars du renseignement, à l'exemple des frères Kouachi et d'Amédy Coulibaly qui complètent ce tableau d'une menace diverse et polymorphe.

Je suis convaincu, à titre personnel, que la réponse sécuritaire n'est que partielle et ne résoudra pas le phénomène. Pourquoi une fille de 15 ans quitte-t-elle notre territoire pour la Syrie alors que rien ne la destine à ce destin macabre ? Pourquoi un garçon du même âge issu d'un milieu kurde, non islamisé, tente-t-il d'assassiner un enseignant juif à Marseille ? C'est une question pour notre société. L'ensemble des pays européens sont touchés, et même le monde, comme en témoignent des événements survenus en Australie et aux États-Unis. Une partie - certes infime - de la jeunesse est secouée par une crise profonde. La revendication filmée des attentats produite par Daech, terrible, insoutenable, montre des individus déshumanisés, revenus à l'état d'animaux. Si nous les interceptons, qu'allons-nous en faire ? Faut-il les maintenir en prison à vie ? Il y a là un problème psychiatrique, et un enjeu de protection pour la société. Ils sont prêts à aller jusqu'à la mort après avoir fait le maximum de victimes.

L'Europe fera sans nul doute face à d'autres attentats majeurs. La France reste en première ligne : à preuve, le titre « Qu'Allah maudisse la France » en une de la revue Dar al-Islam. Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et Al-Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa) considèrent eux aussi la France comme l'ennemi numéro 1, mais la menace pèse aussi sur d'autres pays. Elle est de nature à déstabiliser notre société : nous surveillons aussi des groupes extrémistes à l'opposé du spectre, qui n'attendent que de nouveaux actes terroristes pour engager une confrontation violente.

M. Bernard Bajolet, directeur général de la Sécurité extérieure. -Pour faire écho aux propos de mon collègue, tout attentat, qu'il se déroule sur le sol français ou fasse des victimes parmi nos compatriotes à l'étranger, est ressenti comme un échec également par la DGSE. La mission de mon service consiste à détecter et entraver la menace à l'étranger, qu'elle vise le sol français ou nos intérêts ailleurs dans le monde. Si nous n'avons pu éviter les attentats du 13 novembre ni les attaques du Radisson Blu à Bamako ou du Cappuccino à Ouagadougou, nous avons contribué, au côté de la DGSI, à empêcher d'autres attentats en France ainsi que plusieurs attaques notamment en Afrique.

La menace présente plusieurs aspects inédits : la territorialisation du groupe État islamique, grâce au concours d'anciens officiers de Saddam Hussein ; une cruauté absolue, un nihilisme mais aussi un véritable professionnalisme, Al-Baghdadi s'étant assuré les compétences d'ingénieurs et de propagandistes de métier. C'est visible dans la qualité morbide de la propagande de Daesh, mais aussi dans sa capacité à utiliser des méthodes clandestines de communication, de transport, etc.

Comme Patrick Calvar l'a rappelé, des instructions ont été données par des dirigeants du groupe État islamique pour de nouvelles opérations en Europe. Et la menace vient aussi de la mouvance Al-Qaeda qui, affaiblie, cherche à se signaler par des coups d'éclat. Nous l'avons vu récemment à Ouagadougou, où l'organisation Al-Mourabitoune agit au nom d'Al-Qaeda.

Le schéma des attentats du 13 novembre n'est pas le seul ; d'autres modèles existent, fondés sur des cellules dormantes en France et une circulation entre les zones de djihad et l'Europe, qui brouille les frontières entre menace extérieure et intérieure. Pour y faire face, la DGSE et la DGSI n'ont pas attendu janvier 2015 pour se rapprocher, mais une impulsion supplémentaire a été donnée alors avec une structure mixte installée à Levallois. Toute coordination impliquant un chef de file, c'est, avec notre plein accord, la DGSI qui remplit ce rôle. Il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette entre nos deux services, ni aucune restriction dans l'échange de données. Au contraire, après le 13 novembre, une étape supplémentaire a été franchie, avec le partage de l'ensemble des données entre nos services, dans le cadre de l'article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure créé par la nouvelle loi sur le renseignement.

On dit que nos services s'appuient trop sur le renseignement technique. Il est vrai que nos moyens dans ce domaine ont été renforcés depuis 2008 par les gouvernements successifs, en dépit du contexte budgétaire ; mais nous investissons aussi dans le renseignement humain. Discret, ne figurant dans aucune statistique, le renseignement humain fait néanmoins partie des priorités de mon service ; là aussi, nous travaillons en lien avec la DGSI et les autres services français ou étrangers amis pour le recrutement de certaines sources.

Les partenariats avec les services étrangers se sont intensifiés après janvier 2015, et de nouveau à la suite des attentats de novembre. Aucune limite n'est posée à la coopération technique et humaine entre pays occidentaux, autour d'un noyau européen constitué avec nos partenaires britanniques, allemands et d'autres, en Europe notamment. La coopération s'est aussi développée avec nos homologues d'Afrique du Nord.

La loi sur le renseignement conforte la sécurité juridique de nos activités dans le domaine technique. Certaines dispositions sont déjà en application. Une grande partie du dispositif sera opérationnel en juin prochain.

Enfin, nous avons reçu des moyens en personnel supplémentaires. Pour la DGSE ce sont un peu plus de 800 postes supplémentaires, de 2014 à 2019 inclus, dont près de 530 décidés après les attentats de janvier et de novembre. La DGSI a reçu des renforts comparables.

La zone syro-irakienne est le coeur de la menace, mais ne la délimite pas. Des transferts s'opèrent vers la Libye où se regroupent des combattants étrangers, maghrébins mais aussi, dans une moindre mesure, syriens et irakiens, voire français, en nombre encore limité. Nos services se mobilisent pour anticiper la menace.

À mon tour de souligner que la réponse sécuritaire seule ne suffit pas. Certes, nos services travaillent de façon mutualisée, nos forces armées, renseignées aussi par la DRM, contribuent à l'attrition du groupe État islamique et des autres organisations terroristes en Syrie, en Irak et au Sahel, mais nous avons besoin d'une réponse politique. Daech s'appuie sur la marginalisation de la communauté sunnite en Irak, où un certain nombre de milices chiites ne sont plus contrôlées par le gouvernement. En Syrie, la minorité alaouite monopolise le pouvoir depuis 1963. L'État islamique met cette marginalisation à profit pour asseoir son emprise sur les Sunnites. Au-delà des questions de personnes, il faut rendre le gouvernement syrien plus inclusif. Enfin, en Libye, aussi, la clé est politique.

M. Jean-Pierre Raffarin, président. - Je vous remercie.

M. Christian Cambon. - On met souvent en regard la masse des renseignements collectés par les services français, parmi les meilleurs au monde, avec l'insuffisance des moyens d'analyse ; par opposition avec un système américain mettant à contribution les sciences sociales, la linguistique, l'histoire, etc. pour aborder des réalités complexes. Ainsi la description du conflit centrafricain véhiculée par la presse, une opposition entre chrétiens et musulmans, est bien loin de la vérité. Avez-vous des moyens d'analyse suffisants ? Comment mettez-vous en oeuvre la coopération internationale dans ce domaine, notamment avec des pays comme la Belgique ? Comment mettre à profit ces renseignements pour les interpréter ?

M. Jeanny Lorgeoux. - Soyez assurés de notre sympathie et de notre soutien sans faille. La coopération avec les services d'Afrique du Nord est un pilier de notre réussite. Le démantèlement, en Algérie, du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) et la mise à l'écart de son chef, le général Mediène, au profit du général Tartag, sont-ils de nature à altérer cette coopération ? La froideur que nous ont témoignée les services marocains au Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique est-elle purement conjoncturelle ?

M. Yves Pozzo di Borgo. - Hier, lors d'une réunion du Conseil de Paris, il nous a été suggéré que les établissements scolaires parisiens pourraient être une cible. Êtes-vous en mesure, sur une échelle de 1 à 100, d'évaluer vos capacités de prévision ?

Face au phénomène international qu'est Daech, qui touche jusqu'aux pays d'Asie centrale, la Malaisie, les Philippines, quelles relations entretenez-vous avec les services russes, dont la capacité d'action et de pénétration est forte ?

M. Pierre Charon. - Je salue l'initiative d'une audition commune de vos deux services - dans le cadre de la commission d'enquête sur le djihadisme, nous vous avions entendus successivement.

Les outils d'une mobilisation conjointe des États européens doivent être améliorés : mais le Système d'information Schengen (SIS) a connu des dysfonctionnements, tandis qu'Europol pâtit d'un partage insuffisant de l'information. En décembre dernier, le Conseil européen a demandé aux services de renseignement de structurer leur coopération. Quelles sont vos relations avec vos homologues européens ? Avez-vous constaté des améliorations, ou a minima une inflexion politique ? Les services français et britanniques, par leur dynamisme, peuvent être l'aiguillon d'une communauté européenne du renseignement.

La porosité entre le financement du terrorisme, le crime organisé, le blanchiment d'argent et les réseaux mafieux, dont la part dans le trafic d'êtres humains augmente, est grande. Le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, a lui-même reconnu que l'on ne pouvait considérer la crise migratoire comme un événement ponctuel et déconnecté de ces réalités.

Comment se déroule votre coopération avec Frontex, Europol et Eurojust ?

M. Robert del Picchia. -Vous avez souligné le déplacement du foyer terroriste de la Syrie vers le Maghreb, où les liens très forts entre les populations du Nord et du Sud sahélien risquent d'aggraver la situation.

Qu'en est-il de l'arrestation à Salzbourg, annoncée par la presse autrichienne, de deux proches des auteurs des attentats de novembre ?

Mme Nathalie Goulet. -Êtes-vous consultés sur les dispositifs de prévention mis en place ? Je n'ai pas eu accès, malgré mes tentatives, aux évaluations des actions de la Miviludes et du Centre de prévention de la délinquance. Pendant ce temps, les cas de radicalisation continuent d'augmenter : les autorités ont récemment fait état de 8 300 signalements.

Quelles sont les modalités de la coopération financière, notamment avec Tracfin ? Êtes-vous satisfaits de la mise en place dans deux ans du fichier PNR (Passengername record), où les données concernant les passagers aériens seront conservées pour une durée de six mois ? C'est à mes yeux insuffisant.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous dressez un tableau effrayant, mais c'est une nécessaire piqûre de rappel. Vous le dites à juste titre, la réponse n'est pas seulement sécuritaire : la force principale de ces terroristes réside dans l'humain. Sommes-nous en mesure d'apporter une réponse globale, et des solutions aux familles désemparées qui ne savent plus comment retenir leurs enfants ?

M. Jean-Marie Bockel. - Merci d'avoir inscrit votre propos dans le cadre plus large des enjeux sociaux. Des cours d'appel, dont celle de Colmar dans ma circonscription, s'engagent dans des actions pilotes de déradicalisation. Les collectivités territoriales ont elles aussi pris des initiatives en ce sens. La délégation sénatoriale aux collectivités prépare un rapport sur la question. Quel serait votre apport à ces actions qui, l'enfer étant pavé de bonnes intentions, pourraient partir dans tous les sens ?

M. Alain Néri. - Les missions téléguidées de l'étranger sont inquiétantes ; mais ne peut-on pas craindre aussi que des faibles d'esprit commettent des attentats par mimétisme ou pour voir leur nom dans le journal ? Comment lutter contre de tels électrons libres ? Des élus immergés dans la population comme nous le sommes peuvent-ils vous aider ?

M. André Trillard. - Vous parlez d'un niveau de risque jamais atteint - pouvez-vous en dire plus ? La multiplication des agressions sexuelles de la part de migrants, comme à Cologne, fait-elle partie d'une stratégie de communautarisme exacerbé ?

Mme Christiane Kammermann. - Nous sommes fiers de vous et du travail que vous accomplissez pour la France. Quelles sont vos relations avec les autres services en Europe ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le renseignement humain ? Quels seraient vos pronostics pour un avenir proche ?

M. Jacques Legendre. - Monsieur Bajolet, comment analysez-vous l'évolution de la situation en Afrique de l'Ouest ? Les attaques visant des hôtels fréquentés par des étrangers à Bamako, Ouagadougou ou Tombouctou, ou des camps militaires au Mali, sont préoccupantes. Y a-t-il encore un État sûr en Afrique de l'Ouest ?

M. Jacques Gautier. - Monsieur Bajolet, les liens inattendus découverts au Nord-Mali sont-ils une surprise pour vous ? Menez-vous une action cyber offensive ?

M. Bernard Bajolet. - Notre analyse est généralement de grande qualité. La réforme menée par mon prédécesseur en 2009 l'a rapprochée de la recherche ; les deux métiers sont distincts mais se nourrissent l'un l'autre. Je ne suis toutefois pas complètement satisfait de notre analyse sur certains pays ou certaines thématiques. Avec le plan d'amélioration que nous suivons, l'objectif est d'avoir les meilleurs analystes de France. Une sorte de concours d'Orient sera organisé et le recours aux contractuels permettra de profiter de l'expertise universitaire. Nous soutenons la comparaison avec les services qui bénéficient des moyens les plus importants, aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Certains de nos partenaires peuvent être meilleurs en raison d'une proximité géographique ou historique ; soit nous tirons parti de leurs compétences, soit nous cherchons à être à leur niveau.

Notre relation avec l'Afrique du Nord est essentielle. Nous avons les mêmes partenaires que la DGSI en Algérie, malgré la réforme qui a remplacé le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) par un ministre coordonnateur auprès du président Bouteflika et trois directions générales de la sécurité intérieure, de la documentation et de la sécurité extérieure, et du renseignement technique. Nos contacts font état d'une volonté très claire de resserrer la coopération avec la France. La parenthèse de la brouille avec le Maroc est définitivement fermée : même pendant cette période, nous avons toujours veillé, pour notre part, à faire comme si de rien n'était en envoyant tous les documents utiles à nos collègues marocains. Aujourd'hui, la coopération a repris son rythme normal. Elle est très forte également avec la Tunisie, ce partenaire qui est aussi un pays menacé directement : des centaines de combattants tunisiens se trouvent parmi les groupes terroristes en Libye, dont Daech.

Il est indispensable de disposer d'un suivi des réservations de passagers européens à travers un PNR dans le cadre de Schengen. C'est le plus qu'urgent ! J'ai toutefois des interrogations sur l'efficacité technique du système tel qu'il paraît envisagé. La coopération avec le Royaume-Uni est excellente : je ne vois pas comment elle pourrait être meilleure. La DGSE, mais aussi la DGSI, collaborent avec le Government Communications Headquarters (GCHQ), le Secret Intelligence Service (SIS) et le British Security Service (BSS) ou MI5. Nous avons aussi une coopération avec l'Allemagne et l'ensemble des services les plus performants en Europe.

Vous aurez noté le déplacement du Premier ministre à Bruxelles en compagnie des ministres de la justice et de l'intérieur, de M. Calvar, du procureur de Paris et de moi-même pour relancer la coopération avec les services belges, parfaitement compétents et professionnels, mais qui manquent de moyens, et que nous devons aider.

Des commandos du 13 novembre ont utilisé des filières migratoires pour arriver sur le territoire. C'est donc un sujet à suivre. Nous ne pourrons toutefois empêcher des terroristes de s'infiltrer que si nous nous en donnons les moyens, à travers le fichier SIS, où nous devons faire figurer non seulement l'identité, mais aussi la biométrie ; des milliers de passeports syriens ont en effet été volés et d'autres sont falsifiés.

Le renseignement humain consiste à recruter des sources pour déjouer les projets terroristes. C'est très compliqué et très long mais nous progressons. Nos agents sont particulièrement exposés. La DGSE est présente partout où les diplomates et les militaires ne peuvent pas aller. Certains agents l'ont payé de leur vie. La prévention de la menace étrangère a un coût : ces risques sont assumés.

La situation s'est détériorée au Mali, à la suite de l'accord tribalo-commercial d'Anefis en octobre 2015, entre les groupes armés présents dans la zone du nord, qui pourrait se traduire par une sorte de pacte de non agression à l'égard des groupes terroristes. Cela explique en partie les attaques des 12 et 14 février à Kidal. La menace se déplace vers le Sud, à Bamako et dans les autres pays voisins du Mali. N'oublions pas Boko Haram. Des rapprochements étonnants ont eu lieu. Al-Mourabitoune s'est scindé entre une partie restée fidèle à Al-Qaida et une partie se réclamant désormais du soi-disant État islamique. Nous devons soutenir nos alliés, dont certains ont des fragilités.

Je vous confirme que nous travaillons sur le cyber. Le sujet prendra de l'importance dans les années à venir.

- Présidence M. Christian Cambon, vice-président -

M. Patrick Calvar. - Notre stratégie est d'anticiper et de neutraliser sur le plan judiciaire des menaces aussi diverses qu'un Coulibaly agresseur d'un militaire à Nice à la limite de la pathologie psychiatrique ou un Abaoud très professionnalisé et qui sait se dissimuler. Tout le monde connaissait les grands trafiquants comme Pablo Escobar ou El Chapo, les appréhender n'en a pas été moins difficile. Le renseignement est une chaîne obéissant à deux impératifs : la complémentarité et la coordination. Nous avons organisé une cellule rassemblant les services du premier cercle, en incluant à ses côtés la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, et le Service Central du Renseignement Territorial.

La difficulté est moins d'analyser que d'établir des priorités. Dans vos circonscriptions, vous le savez, le moindre voleur à la roulotte dispose de cinq à dix moyens de communication et peut chiffrer ses messages... Abaoud faisait l'objet de très nombreuses procédures judiciaires, il était soupçonné d'être à l'origine d'attentats comme celui tenté dans le Thalys, mais cela ne nous disait pas où il était ni ce qu'il faisait. La question est de savoir grâce à quelles pièces d'identité il sort de Syrie ou y retourne et si le fichier européen comprend des éléments de biométrie et permet le croisement des fichiers. Un point important : jusqu'à quel point nous sommes prêts à aliéner des libertés pour notre sécurité ?

Nous étions les seuls à parler encore avec les services algériens durant la guerre civile. Et le nouveau dirigeant, le général Tartag, était l'un de ceux qui était chargé de la lutte contre le terrorisme durant les années noires. Nous coopérons toujours avec ces services qui sont de grande qualité. Outre leur très grande qualité et efficacité, les services marocains ont la particularité, comme nous, d'avoir une dimension judiciaire. Un article du Monde se plaignait récemment de cette particularité française : signalons que la Suède, la Norvège et le Danemark ont la même.

Les terroristes ciblent leur action. Ils savent très bien ce qui nous effraie ; ils lisent notre presse et connaissent nos peurs. Les terroristes choisissent des cibles d'opportunité pour faire le maximum de dégâts. Ils ont utilisé des Kalachnikov parce qu'ils ont l'habitude d'en utiliser en Syrie, mais ils peuvent demain recourir à des véhicules piégés. Considérant que nous leur faisons la guerre, ils nous la font à leur tour.

La coopération avec la Russie est forte, ne serait-ce que parce que 7 à 8 % des personnes souhaitant quitter la France pour la Syrie ou en revenir sont des Tchétchènes, certains impliqués dans des projets d'attentats ou leur financement. Elle est étroite y compris concernant la zone du Nord-Caucase. La coopération au sein de l'Europe est forte, malgré ce qu'on imagine, mais elle se heurte à des régimes juridiques différents. Nous intégrons nos 8 000 fiches S dans le fichier de Schengen, ce qui nous vaut une grande popularité. C'est ainsi que M. El Khazzani nous avait été signalé par les services espagnols comme susceptible de venir en France : nous ne parvenions pas à le localiser sur notre sol, mais avions créé une fiche S, un marqueur pour suivre un individu. Un an après, il est signalé comme prenant un avion à Berlin pour Istanbul ; nous l'indiquons à nos camarades espagnols qui nous disent que le suivi est désormais l'affaire des Belges, car il a séjourné en Belgique depuis son départ d'Espagne. Mais ni les Espagnols, ni les Belges ne peuvent mettre de fiches dans le système d'information... Et ce sont les Français qui ont été accusés de ne pas l'avoir surveillé. Il est indispensable que tous les partenaires contribuent au système d'information Schengen. Europol pratique une coopération policière, pas de renseignement. L'important aujourd'hui c'est de pouvoir croiser l'ensemble des différentes bases de données françaises et européennes.

Le financement du terrorisme sur notre sol commence par un microfinancement : il suffit de quelques poignées d'euros pour prendre un avion pour la Turquie. Ce n'est donc pas un élément fondamental, même si c'est un élément constitutif de l'association de malfaiteurs. Il y a aussi le macrofinancement de Daech suivi notamment par la DGSE et Tracfin.

Concernant l'Autriche, des personnes ont effectivement été arrêtées. Nous disposons d'informations faisant état de la présence de commandos sur le sol européen, dont nous ignorons la localisation et l'objectif.

Noter travail, c'est la lutte antiterrorisme, pas la déradicalisation. Mais nous ne pouvons pas ne pas nous demander : qu'est-ce qui pousse une gamine de quinze ans à partir de Syrie, ou un gamin de quinze ans à poignarder un enseignant juif ? L'ensemble des sociétés européennes est dans cette situation. Nous sommes comme le Samu : nous traitons l'urgence, pas le mal de fond.

Je ne fais pas de lien entre les événements de Cologne et les réfugiés ; mais la population peut le faire. Une forte hostilité se fait jour en Europe du Nord, en Allemagne ; un mouvement violent est apparu à Calais. C'est un danger majeur de déstabilisation de nos sociétés, auquel il faudra trouver une solution.

Nous avons arrêté plus de 300 personnes ; que nous disent ces jeunes ? Qu'ils n'ont aucun espoir ; qu'ils n'ont pas d'existence en tant qu'individu, qu'ils ne sont « personne ». Une fois qu'ils sont passés dans le monde de la barbarie, cela change, mais au départ, ce que nous entendons est bien un cri de désespoir.

M. Christian Cambon, vice-président. - Je vous remercie. Nous mesurons le défi que vous devez relever au quotidien : vous avez tout notre soutien.

La réunion est levée à 12 h 5.

Source : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20160215/etr.html#toc3


Pour mémoire : 

 

Composition de la Délégation Parlementaire au Renseignement DPR)

 

Président : M. Jean-Pierre Raffarin

Première vice-Présidente : Mme Patricia Adam

Deuxième vice-Président : M. Michel Boutant

Membres nommés par le Président de l'Assemblée Nationale :

M. Jacques Myard, M. Philippe Nauche

Membre nommé par le Président du Sénat : M. Michel Boutant.

Membre de droit (Président de la commission des lois) : M. Philippe Bas

Membre de droit (Président de la commission des affaires étrangères et de la défense) :

M. Jean-Pierre Raffarin

Membre de droit (Présidente de la commission de la défense) : Mme Patricia Adam

Source : http://www2.assemblee-nationale.fr/14/les-delegations-comite-et-office-parlementaire/delegation-parlementaire-au-renseignement/(block)/24533

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