"Quelques corps parmi les morts" Michel RICHARD - Critique de M. Hubert de CHAMPRIS
Michel Richard, Quelques corps parmi les morts, Fayard, 96 p., 14 €.
« Ce père que je n’ai pas eu, ce père que j’aurais pu aimer et qui aurait pu m’aimer m’offrait un privilège décisif, définitif : moi, au moins, je n’aurais jamais peur de le voir disparaître. Jamais peur d’en être privé, avantage de n’en avoir jamais joui. Jamais peur de le voir amoindri ou moribond. Avec lui, je n’aurais pas de ces soucis ordinaires que je connais pour les avoir vécus avec ma mère. Ce mélange de compassion et d’exaspération, d’accablement et d’impuissance que l’on ressent face à quelqu’un quand il n’est plus lui-même. usqu’à l’impatience quand le corps est en retard sur l’esprit qui l’a déjà déserté. »
Michel Richard est journaliste.
***
CRITIQUE de M. HUBERT DE CHAMPRIS
[Exclusivité Politique-actu - avec l'aimable autorisation de M. Hubert de CHAMPRIS]
Loin du néant outré et lourd de complaisance bêtifiante de nos auteurs d’(auto) fiction à la mode, du (mauvais) genre de la mère Angot par exemple, Michel Richard, journaliste de son état, et qui, aussi modeste et pince-sans-rire dans la vie que dans ses livres, se présente tel sur la quatrième de couverture, nous donne, comme disait jadis la critique, un récit qui, comme vous le voyez, fleure bon la gaudriole. Qu’à cela ne tienne, nous aurions déjà là un précis de psychosociologie mortuaire rempli d’observations marquées au coin d’un bon sens on le sait de moins en moins partagé. Par exemple ceci, que tout homme qui se respecte et doté d’un chouia de sensibilité goûte plus les obsèques que les cérémonies de mariage obséquieuses, onéreuses et faussement joyeuses, que l’émotion et les idées qui sourdent de l’écoute d’un requiem et de la vue du cercueil au bois nu vous font oublier le désagrément – Richard parle d’horreur – qui sinon naîtrait de la pensée de ce qu’il contient tandis que la feinte ébriété qui l’entoure et, pour parler pompeusement, la vacuité ontologique qu’il recouvre – Madame Eric Mension- Rigau, historienne de la chose, nous certifiant, visant le mort qu’il est devenu, que « dépouillé de ses privilèges patrimoniaux et génétiques, il n’est déjà plus qu’un souvenir » (1) - devrait, du mariage et de la robe de la mariée nous faire percevoir comme le lait la blancheur trompeuse.
Mais, par-delà la petite psychanalyse personnelle auquel se livre sur lui-même le directeur de la rédaction d’un Pointqu’il ne nomme pas plus que le magasin Tati de la rue de Rennes à Paris 6ème sur le trottoir de laquelle, en septembre 1986, à la suite du fameux attentat, l’un des premiers, l’auteur, à l’aise parmi les cadavres, erra, ce récit constitue un exorcisme et, pour parler pompeusement, les prolégomènes à ce que Jung appelait un phénomène de synchronicité.
Ces temps-ci, pour Michel Richard et pour d’autres, les événements se répondent, ils font échos à nos craintes, à nos peurs, à nos espoirs ; en ce présent d’une visite à l’hôpital, le passé et l’avenir se concentrent et dialoguent : nous revisitons, en une religion toute profane pour certains, les fondations de l’hebdomadaire co-fondé en 1972 par Olivier Chevrillon et Claude Imbert.
Il y a huit ans, Gérald de Roquemaurel avait publié La Presse dans le sang (2). C’était une heureuse expression pour résumer la plus saine et la plus pédagogique des passions. Dans ce livre, il usait d’une pertinente comparaison imagée. Faisons, disait-il, l’hypothèse d’un catholique intégriste à la tête de la rédaction d’un journal genre France-Dimanche. Serait-il possible à notre homme de transformer ce journal à scandales en Rivarol (même si ce dernier fut jadis dirigé par un Alfred Fabre-Luce !), en bulletin de l’abbé Georges de Nantes, en hebdomadaire lefèvbriste ? Le groupe auquel France-Dimanche appartient et qui, non moins certainement qu’implicitement, a défini la ligne éditoriale, s’y opposerait. Et, faute de pouvoir refaire le monde, quitte à faire Le Point, au moins celui d’hier et, qui sait, celui de demain, à défaut de celui d’aujourd’hui, faisons notre miel de cette anecdote – anecdocte – de Roquemaurel qui nous rappelle qu’en 1974, Giscard jugeait Le Point entaché d’un «péché originel» (3) : celui de chabanisme. Oui, nous nous souvenons de cette couverture en forme de mot d’ordre, début 1973, Messmer doit partir ; nous nous souvenons qu’un journal, ce sont une Eglise et des chapelles, une ligne et des lignes à faire (en espérant ne pas les voir défaire) ; une figure de proue qui entraîne et fédère. Oui, nous nous souvenons que c’était là Claude Imbert.
Il devrait tenir à cœur à ceux qui réfléchissent de dénouer l’imbroglio, de faire la part du structurel et du personnel : en un mot – et déjà y répondre grosso modo serait bien beau – qu’elles sont les idées d’Imbert ? Il y a bien chez lui de l’américain et du latin, et c’est pour cette raison que nous parlons à son sujet d’atlantisme méditerranéen,- expression qu’il affectionne. Ce qu’il y a en lui d’américain en partie fut conforté, dynamisé par la posture et l’aventure schrébérienne,- l’aventure avons-nous dit, l’aventure seule, avant qu’elle ne sombre dans l’aventurisme. L’officier prussien aux yeux gris-bleu, par son prophétisme rationalisé, sa froide spontanéité pouvait en effet fasciner à condition de démêler en lui ce qui relevait de son appréhension du futur, d’un côté, de ses désirs d’avenir de l’autre. D’un côté ses vues, de fortes et justes intuitions (l’échec commercial du Concorde par exemple), de l’autre, à travers un idéalisme technocratique déplacé, ses bévues (l’informatisation du Proche-Orient comme facteur de paix, le fiasco du centre mondial de l’informatique parmi d’autres). Un atlantisme qui renvoie donc aussi bien à la Californie qu’au Massachusetts. L’expression susvisée ne traduit cependant pas la volonté d’une américanisation du mare nostrum. Nonobstant les lubies modernistes et centristes d’un JJS ou d’un Giscard, initialisé VGE dans les pages du magazine, judaïsme et christianisme, Jérusalem, Athènes et Rome sont bien les piliers, peut-être pas très enfouis, peut-être faits plus de roseaux (mal)pensants que de chêne, de l’hebdo. L’atlantisme aujourd’hui, c’est l’Otan curieusement prolongée après la fin de la guerre froide et ce, en contradiction de ses statuts, c’est en un mot, dit Paul Thibaud, le marché plus les droits de l’homme. Mais l’atlantisme méditerranéen n’est pas seulement politique, il est aussi personnel et psychologique. A l’instar d’un Jean Cau, on manifestera envers la corrida une certaine aficion, plus généralement une sensualité, un goût de la vie et de ses plaisirs très latin, tout cela qui est du Sud, même si la Méditerranée, par l’entregent du christianisme ou de l’islam, ce sont aussi patience, lenteur, souffrances et sacrifice rédempteur. Tout cela qui s’oppose à l’immédiateté, au pragmatisme, au matérialisme mercantiliste des states.
Le Point se met sur ‘‘pause’’, réfléchit, pèse et soupèse. Il devrait tenir à sa position (ce qui suppose que l’on puisse dire qu’il en détient une, fixe et non mutable comme on dit dans certaine science conjecturale.) Longtemps, on s’y voussoyait. L’Express, cela vous inspire le stress, et son JJSS dans le texte. Dans le paysage politique de droite, on avait donc De Gaulle, qui était censé surnager au travers des Chirac et Charbonnel, ces cadets du gaullisme auxquelsLe Point en particulier s’intéressait puis les Indépendants (… et paysans) de l’homme vert de Saint-Chamond, enfin les mêmes, mais remastérisés en Républicains par le futur Président de la République, sans oublier les centristes de Jacques Duhamel qui, si le souvenir ne nous trahit pas, avec son Centre Démocratie et Progrès s’était déjà rallié à Pompidou. Le Point établit alors une sorte de jonction entre le centre-droit et le centre-gauche croyant la voir incarnée en un Chaban qui marierait en lui-même ces deux pôles tout en se rattachant, auréolé d’une certaine fougue, à la tradition gaulliste. Quant aux questions de société comme on dit, c’est-à-dire côté comportement et croyances, pour s’en faire une idée, voyez du côté de quelques grandes familles, les Giscard d’Estaing, les Missoffe, les d’Ormesson : l’orléanisme se décline aussi sur le plan des mœurs. Sous ses airs de pélican gourmant, Balladur est un moderne et des commentateurs sans recul, qui oublie que le journaliste est l’historien du présent, imagine venir de Maurras ce qui n’était, selon Alain Peyrefitte, que le programme d’une droite qui se respecte. Comme vous dites, ma bonne dame, le curseur a bien changé.
A l’image du navigateur, les journaux vont être conduits à refaire le point, et à tous points de vue. Pas avec l’ordinateur de bord, au sextant. L’ignoreraient-ils ? Ils ont là, s’il leur prend à visiter les fondations, un point de repère. Parfois, l’après-midi, celui-ci écoute-t-il piano et violon, concert de chambre qui lui rappelle l’instrument qu’il maniait naguère. Regarde-t-il la télévision qu’à sa droite, religieusement installés sur un autel un peu latin, un peu païen, on distingue, délicatement proposés à son souvenir, quelques uns de ses maîtres-livres : La Chartreuse de Parme de Stendhal, L’Univers, les dieux et les hommes de Jean-Pierre Vernant. Voici : vous l’observez qui s’anime, interrogateur. Vous saisit-il ? La réponse est toute simple. Elle est dans Le Point, celui, du moins, des années soixante-dix et quatre-vingt. André Frossard tenait sa rubrique. Elle vous soufflait : regardez bien, et rajoutait comme un secret : L’Œil écoute.
Hubert de Champris
(1) Agnès Walch, Où va le mariage ?, Fayard.
(2) éd. Robert Laffont.
(3) Et, à ce titre, indélébile.
