« Jeux et enjeux » par Jean-Marie Kassab (Beyrouth)
Quand Tom Clancy , auteur prolifique , dont plusieurs romans d’aventure traduits en films firent un tabac , écrivit le fameux « the sum of all fears » il se fit taper sur les doigts et dut modifier le scenario du film. Il faut dire que les Américains sortaient justement du traumatisme du Onze Septembre , et que leurs frayeurs étaient encore exacerbées. Tout en gardant l’essentiel de l’histoire, c’est-à-dire une bombe nucléaire qui explose au sein même des Etats Unis, Clancy changea les noms et les profils des instigateurs : de terroristes arabes, il devinrent des conspirateurs néo-nazis. Mais le titre resta inchangé : La somme de toutes les frayeurs : La totale, quoi !
En effet quoi de plus effrayant qu’une bombe atomique , ou ce qu’on appelle dernièrement les armes de destruction massive ! Malheureusement elles sont devenues non seulement un sujet d’actualité , mais de proximité aussi . On ne fait que parler de la bombe nucléaire iranienne et toutes les sources s’accordent que c’est pour bientôt.
Depuis Hiroshima et Nagasaki, l’arme nucléaire ne fut utilisée que pour la dissuasion. Pour éviter la guerre. Dissuasion folle, dangereusement meurtrière et si fragile pourtant qui fonctionna malgré son aspect démentiel . Même les initiales du concept de dissuasion mutuelle sont effrayantes : MAD pour Mutually Assured Destruction . En somme, le deal entre américains et soviétiques était simple : si on se tape dessus a coups d’atomes d’Uranium enrichi ,on se détruit mutuellement , et personne ne gagne. En fait tout le monde perd et beaucoup.
Il y eut certes pas mal de crises où les doigts des dirigeants effleurèrent le fameux bouton déclencheur mais sans jamais appuyer dessus. Même sans crise , le monde faillit basculer dans la folie meurtrière quand les généraux soviétiques , et ce durant la course folle à l’armement , se réunirent au Kremlin avec le secrétaire général du parti soviétique , Leonid Brejnev à l’époque , pour lui dire que c’était la dernière chance d’entamer une guerre avec les Etats Unis avant que qu’ils ne soient [ les soviets] irrémédiablement dépassés. Ce qu’on appelle techniquement une « fenêtre » d’opportunité qui pourrait se fermer. Aujourd’hui cette fenêtre s’appelle le départ des Américains d’Iraq : la route la plus avantageuse aux chasseurs bombardiers Israéliens pour aller bombarder les centrales éparpillées un peu partout au pays des Ahmadinajad et ses copains. La date fatidique étant la fin de 2011.C’est-à -dire bientôt !
Le monde était plus simple il faut dire et ceci malgré les enjeux de l’époque. Mais avec le temps les choses se compliquent , et dès qu’il est question du Moyen-Orient elles deviennent inexplicables. De plus l’amas d’informations sous lesquelles nous croulons n’arrange pas les choses. Les paramètres deviennent tellement compliqués que nous pouvons facilement parler de casse tête chinois quoique le facteur chinois soit le moins difficile à comprendre : Des liens traditionnels avec la Syrie , mais aussi des intérêts financiers et commerciaux avec l’Europe : La Chine finance actuellement l’Europe , d’où le lâchages d’Assad d’une façon polie et hypocrite . Des Chinois on saute aux Russes qui font du « muscle flexing » en mer avec l’arrivée de leur flottille forte d’un porte-avions en eaux (troubles) Syriennes . Mais comme la région commence à ressembler à une arène de gladiateurs, les américains ont aussi amené leur gros joujou , le porte-avions George Bush , gros mastodonte des mers !
Si les dents de l’ex-ours soviétique sont émaciées et ne font plus trop peur , il faut en tenir compte quand même. Les russes sont essentiellement intéressés par leur base de Tartous , leur accès principal en méditerranée. Et dans la foulée, Mr Assad , gladiateur aussi de haut niveau a essayé depuis deux jours ses Scuds ,gros missiles terre-terre , défiant du coup ainsi tout ce joli monde en montrant qu’il était capable de faire peur aux israéliens , avec des armes importantes, mais capable aussi de conduire une manœuvre militaire de grande envergure malgré ses grands grands soucis domestiques. Ajoutez à cela , le fameux couloir aérien au dessus de la Syrie , d’instigation Française bien sur, de jeu turque , et de connivence américaine. Mais le fait est aussi que tout le monde bouge , s’observe, jette une idée mais attend que les autres fassent le premier pas. Les turques sont mêmes allés aussi loin que de s’excuser auprès des kurdes pour un massacre fait depuis longtemps, bien sur dans le but de se les mettre dans la poche. Mais rien ne s’est fait sur le terrain. Sans doute les préparatifs se poursuivent secrètement , et pourraient s’étendre même au delà du territoire syrien. Le jeu du chat et de la souris joué à l’extrême…Tom and Jerry en version adulte.
De la statique qui prévalait les quelques derniers mois, où les acteurs s’entre-observaient , cogitaient, se préparaient , mais sans bouger , nous sommes passés en dynamique. Dynamique que les Israéliens ont instauré avec leur matraquage concernant leurs plans d’attaque de l’Iran et les polémiques qui s’en sont suivi avec les américains, à leur grand dam qui se plaignaient que les Israéliens pouvaient ne pas les informer de la date de l’attaque. Il faut souligner le fait ici que la polémique n’est plus si attaque il y aura ou il y aura pas , mais quand !
Les américains connaissent très bien les Israéliens, ils sont leurs chouchous après tout. Ils sont très conscients de l’amour infini qu’ont les israéliens de la guerre préventive. Doctrine qui leur a donné l’immense victoire sur les armées arabes que fut 1967. Des leçons tirées de la guerre du Kippour en 1973, où ils ont failli se casser la gueule contre Sadate et Assad senior, en ne faisant pas précisément d’attaque préventive. Les américains savent aussi que les israéliens sont nerveux ces derniers jours , même très nerveux , comme ils le furent en 1973 ,encore une fois, quand ils menacèrent d’utiliser alors leurs bombes nucléaires contre le Caire et Damas si l’issue de la guerre demeurait incertaine. Bombes nucléaires au pluriel puisque et malgré le mystère qui entoure le sujet, les sources s’accordent que les Israéliens en possèdent au moins 400.
En parlant de nervosité, cet état d’âme lui-même assez dangereux et comporte des nuances comme celle qu’on appelle la peur existentielle . The Existential Fear , en anglais . Nuance applicable aux acteurs de cette triste pièce de théâtre à laquelle nous assistons . Israël vit un état de peur existentielle face au péril nucléaire Iranien et cela n’augure rien de bon. Les résultats des élections en Tunisie et surtout en Egypte ne font qu’accentuer les anxiétés. Les islamistes, même s’ils sont élus sont inquiétants.
La peur en fait ne vient pas de l’lslam mais de l’extrémisme, quel qu’il soit. L’extrémisme fausse le raisonnement et rend les gens fous . Tellement fous que des fois on n’arrive plus à comprendre par exemple cette obsession des Mollahs Persans et leurs acolytes à vouloir détruire Israël . Si la bellicosité des libanais envers leur voisin du sud est normale et plus que légitime , celles de Téhéran elle est inexplicable. A-t’on oublié que les Israéliens étaient les meilleurs amis du Chah. Or l’Iran n’a pas changé de place . Israël non plus. Ce qui a changé en fait sont les maîtres de l’Iran qui en endossant leur turbans chiites cherchent leur place sous le soleil . En faisant de la cause palestinienne la leur , ils peuvent ainsi damner le pion aux Saoudiens et leurs potes américains qui refusent avec véhémence de donner aux mollahs la place qu’ils désirent dans ce monde fou d’aujourd’hui. Et tous les moyens sont bons pour arriver à leurs fins , même l’arme atomique.
Un Iran nucléaire ne peut exister pour les Israéliens. Point à la ligne . Ils sont capables de lancer une attaque préventive contre l’Iran pour s’en prévenir, faisant fi de toutes les conséquences que cela pourrait avoir pour le monde entier . Une économie mondiale chancelante , et ressemblant drôlement à celle de 1929 qui aboutît fatalement à la deuxième guerre mondiale, pourrait-elle résister à un tel coup de boutoir ? Le tout petit Liban qui fait partie de ce jeu gigantesque tiendra-t-il le coup ?
Une peur existentielle , viscérale que vit aussi Bashar Assad. Rien de bon non plus de ce coté –ci . Même mort politiquement, et cela fait l’unanimité , Assad est toujours là militairement et poursuit son œuvre criminelle. Un animal coincé peut faire mal. Il le fera sans doute puisqu’il se bat littéralement pour sa vie et celles de ses coreligionnaires. Les jours à venir seront encore plus sanglants pour tout le monde.
Le Liban , devenu porte-avions battant pavillon Iranien mais avec équipage Libanais , vogue sur cette mer en folie que devient la méditerranée . Heureusement qu’une partie de l’équipage n’est pas du tout d’accord avec le commandant de bord qui s’appelle Hassan Nasrallah et qui nous mène en barque comme c’est le cas de dire ! Peut-être qu’il est temps de se mutiner avant qu’il ne soit trop tard. Les mutins de la Bounty , ont su eux se débarrasser du Capitaine Bligh quand il a dépassé les limites du tolérable…
Les limites du tolérable sont atteintes au Liban. Reste à trouver le Lieutenant Christian , Brando dans le film , qui nous tirera de cette entourloupe . Noel arrive et apporte l’espoir . Espérons !
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Jean-Marie Kassab est diplômé de l'Université américaine de Beyrouth - Spécialiste de Politique et Stratégie-contemporaine de l'histoire du Moyen-Orient et du Liban
[Merci JMarc]