IRAN "Elections : le Retour du Centrisme" par Claude Van Engeland
"Notre victoire absolue à Téhéran a été une grande surprise, explique un militant de la liste «espoir » qui soutient le président Rohani. Nous avons raflé les 30 sièges de député de la circonscription. Nous avons éliminé du parlement les ténors de l’ultra radicalisme qui paralysaient le travail gouvernemental. Plusieurs de nos élus sont des nouveaux venus en politique et 8 sont des femmes.
"Nous avons fait une campagne électorale brève sur un programme précis : le soutien au président Rohani, à son gouvernement et à son action en faveur du redressement de l’économie et l’accord sur le nucléaire.
"Nous avons aussi gagné beaucoup de sièges et éliminé la plupart des ultra radicaux de l’assemblée des experts. Ces grands électeurs seront chargés de de choisir un nouveau guide, si l’actuel venait à mourir dans les 8 années qui viennent.
"Notre liste « espoir » a aussi remporté tous les sièges de deux villes touristiques, Chiraz et Yazd. Elle a aussi fait une percée à Ispahan.
"Par contre nous n’avons eu aucun siège à Machad, la deuxième ville la plus peuplée d’Iran qui accueille chaque année plus de 20 millions de pèlerins musulmans chiites. Qom, la ville des séminaires de théologie a aussi voté pour des candidats conservateurs".
Dessiner un camembert avec des chiffres du prochain parlement iranien est difficile parce que, faute d'être membres de partis dans le sens strict du terme, les candidats se présentent par groupes, associations ou en « indépendants ».
Et puis, nous avons une tendance à croire que les modérés sont ceux dont le programme se rapproche de la vision occidentale du monde et les conservateurs ceux qui ne nous aiment pas. En réalité, dans la politique iranienne un « modéré » qui est partisan d’avoir de bonnes relations avec l’Europe peut aussi être un homme qui a des vues religieuses « conservatrices » et vice versa.
Risquons tout de même cette projection:
Aucune des listes qui se disputaient les 290 sièges du futur parlement n’aura de majorité absolue.
La liste « espoir » a obtenu 95 sièges.
L’ensemble des partis et mouvements conservateurs ont obtenu 103 élus. Mais quasi aucun de leurs candidats radicaux n’ont été réélus.
Il y aura dans le prochain parlement une cinquantaine d’indépendants. Ce sont des députés qui votent souvent pour la majorité en place en échange de financements pour des projets dans leur circonscription. Certains indépendants pourraient pourraient rejoindre l'un ou l'autre des deux groupes principaux.
Il y aura enfin 5 élus des minorités religieuses.
Soixante-neuf sièges doivent encore être pourvus lors d’un second tour qui aura lieu en avril après les vacances du now rouz, le nouvel an iranien, qui tombe le 21 mars.
Les politologues estiment que ces députés supplémentaires ne changeront pas le rapport de forces au sein de la future assemblée. Par contre, il y a encore pas mal de femmes en position de décrocher des sièges. Il pourrait y avoir au total 20 femmes élues.
Hassan Rohani va donc gouverner avec une coalition parlementaire centriste des élus des deux grands groupes qui ont remportés le scrutin. Cette coalition rassemblera tous les élus de la liste "espoir" et des "conservateurs modérés" prêts à soutenir le président Rohani.
Cette coalition s'est formée lors du débat sur l'accord nucléaire à la fin de l'année dernière.
Au sein du parlement alors dominé par les conservateurs, le Président Rohani ne disposait théoriquement pas de majorité pour faire approuver l'accord sur le nucléaire signé à Vienne entre les grandes puissances et l'Iran. Cependant, un groupe d’élus conservateurs emmenés par le président de l’assemblée, Ali Larijani, a estimé, après avoir entendu les explications des négociateurs iraniens, que l'accord était bon pour l'Iran. Ces élus ont, en conséquence, rompu avec les conservateurs radicaux et ont formé une majorité alternative avec la poignée de députés modérés qui soutenaient l'accord dès le début. Dès ce moment là l'affaire était pliée et l'accord sur le nucléaire a été approuvé en quelques minutes le 13 octobre dernier.
C'est cette nouvelle coalition parlementaire, renforcée par le succès des modérés de la liste "espoir", lors du récent scrutin, qui devrait permettre au président de la république de faire voter des lois et mettre en œuvre l’ensemble du programme sur lequel il a été élu en 2013.
Pour Rohani, c'est un grand succès politique parce que dans le parlement sortant, élu en 2012 sous son prédécesseur, le Président Ahmadinejad, les modérés et réformateurs étaient très minoritaires.
La naissance de la nouvelle coalition et le succès électoral d' "espoir" sont le résultat de la clarté et l’efficacité de l’action du Président Rouhani : s’il n’a pas encore réussi à augmenter significativement le niveau de vie et à réduire le chômage, il a maîtrisé l’inflation et rétabli la croissance. Il a mis en place une banque centrale digne de ce nom qui mène une vraie politique monétaire. Il a aussi forcé la police des mœurs de Téhéran à lever le pied, faute de pouvoir la réformer.
Et puis, il y a cet accord avec les grandes puissances sur le programme nucléaire iranien qui est maintenant en vigueur et dont les effets sont visibles : le pétrole iranien s’exporte à nouveau librement et les premières livraisons sont arrivées en Europe, les transactions financières entre l’Iran et le reste du monde sont à nouveau possibles. La semaine dernière la seule société Shell a versé à l'Iran 1, 94 milliards de dollars pour des achats réalisés juste avant la mise en place des sanctions. Les délégations internationales se suivent à Téhéran et l’Iran est sorti de ce que beaucoup d’Iraniens ressentaient comme un statut de paria de la communauté internationale.
Les Iraniens ont suivi avec attention la négociation de l’accord et ils ont ressenti de la fierté face à la performance diplomatique de leur équipe dirigeante. Le nationalisme iranien en est sorti satisfait. Les heures de tête-à-tête entre Javad Zarif et John Kerry ont marqué les esprits. « C’est avec nous que les Etats-Unis ont négocié pendant tous ces longs jours, disent beaucoup d’Iraniens. Les Etats-Unis et les grandes puissances ont reconnu notre statut de puissance régionale.
Claude Van Engeland*
[*Claude Van Engeland, spécialiste de l'IRAN intervient dorénavant régulièrement sur Politique-actu.com ce dont nous nous réjouissons. La Rédaction ]
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