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« Arabie Saoudite : les défis de demain » par Mohamed TROUDI

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(En exclusivité pour Politique-actu.com)

Economie, religion et succession du roi Fahd semblent constituer les trois grands défis de l’Arabie saoudite de demain.

L’Arabie saoudite qui abrite sur son sol les deux lieux saints de l’Islam Mecq et Médine, elle abrite dans son sous-sol le quart des réserves mondiales de pétrole soit la première réserve mondiale d’or noir après l’Irak. Alors qu’aujourd’hui un baril de pétrole sur deux provient du Golfe, en 2020 ce sera 3 barils sur 2. L’Arabie saoudite continuera certes longtemps encore à recevoir sa manne pétrolière. Mais le temps presse pour échapper à ce que Georges Corm appelle « la malédiction du pétrole »  pour surmonter l’énorme malaise du à une indigestion de richesses pétrolières mal réparties dans le corps squelettique de ces sociétés encore privées de véritable industrialisation.

Dans un pays de 16 millions d’ha dont 6 millions de travailleurs étrangers souvent mal traités, l’Arabie saoudite constitue un pion cependant essentiel sur un échiquier régional certes instable. En effet, la dynastie des Saouds a constitué au Moyen-Orient un pôle islamique hostile à la fois au communisme, au nationalisme de Nasser, aux mouvements Baas de Syrie et d’Irak.

Depuis la chute du chah d’Iran, Riyad constitue un contrepoids idéal et indispensable à l’influence de l’Iran. C’est en somme le seul allié d’importance de l’Occident en terre d’islam. Elle est un facteur de stabilité régionale et de modération sur le plan diplomatique et surtout sur celui du baril de brut. Et ce qu’il faut remarquer c’est que ce fragile édifice est entrain de s’effriter sous nos yeux. La famille régnante, se trouve aujourd’hui devant quelques défis majeurs à relever, en tête desquels :

Le défi économique :

Un chiffre est à lui seul révélateur de la crise économique : 80 milliards de dettes extérieurs soit 2 années de recettes pétrolières.

Le pouvoir des Saouds a longtemps tenu au fait qu’ils avaient grâce à la manne pétrolière, transformé les saoudiens en clients et réussi à noyer les aspirations politiques de la population sous un flot de cash et d’argent. C’est maintenant terminé sous le double effet de :

· La baisse des revenus du pétrole (100 milliards de dollars en 1980, moins de 40 milliards actuellement)

· L’accroissement de la population (taux de fécondité de 4% par an constitue l’un des plus élevé au monde soit une population qui a doublé).  Selon le quotidien Ukaz, considérant qu’un bébé naît chaque minute –l’Arabie a le taux de fertilité le plus élevé au monde, à ce rythme, la population saoudienne atteindrait en 2020, 43 millions d’habitants.

La population est constituée essentiellement de jeunes (2 sur 3 ont moins de 25 ans) et dont la situation socio-économique n’est guère enviable.

En effet on estime que parmi les 200 000 qui rejoignent le marché du travail par an, le pourcentage de ceux qui parviennent à trouver un emploi ne dépasse que très peu les 2%. Le taux de chômage continue ainsi à grimper, pour avoisiner aujourd’hui  la barre 20% environ. Selon `Abd Allah al-Fawzân, professeur de sociologie à l'université du roi Sa`ûd, le taux de suicide dans le royaume augmente sérieusement, en raison notamment de la détérioration des relations sociales et de la consommation de drogues et d'alcool.

Cette population rajeunie et appauvrie (le revenu moyen par habitant est passé de 18 800 dollars en 1981 à moins de 6700 dollars en 1995 et continue de chuter), alors que le train de vie des quelques 6000 princes reste le même, apparaît dès lors pour beaucoup comme scandaleux et suscite le sentiment de haine et entraîne des centaines de jeunes saoudiens au porte du djihad. La famille royale finit par apparaître dans ses conditions comme l’une des dernières institutions pro-occidentales dans la région.

Ce qui amène l’administration américaine à accélérer sa campagne militaire anti-irakienne pour reprendre les choses en main dans la région du Golfe, et de sécuriser autant que faire se peut l’approvisionnement pétrolier de l’Amérique et de l’occident.

« Si des élections libres étaient organisées demain et que nous avons le choix entre le prince et Ben Laden, bien sur que nous voterons Ben Laden s’enflamme un étudiant de l’université de Riyad. » Tout contribue aujourd’hui à alimenter la colère des jeunes : les attentats du 11 septembre, l’intervention américaine en Afghanistan, l’intifada palestinienne, les massacres en Tchétchénie au regard du monde, la guerre en Irak et bien entendu l’augmentation continue du chômage et le népotisme des princes de la famille royale.

Outre la crise économique, la guerre du Golfe et la présence persistante de quelques 6000 soldats américains sur le territoire enflamme chaque jour un peu plus la colère de la foule et notamment des jeunes. A cela s’ajoute la fuite des capitaux des princes qui préfèrent investir en Occident et notamment en Russie. De 1980 à 1995, cette fuite de capitaux est passé de 6,4% du PIB à 14% du PIB, la situation n’est guère mieux aujourd’hui.

Un défi qui peut être lié à une crise religieuse :

Le pays est le berceau de l’Islam, aussi la religion fait partie intégrante de l’identité nationale. Ce poids religieux limite la marge de manœuvre du pouvoir.

De la maternelle à l’université, les programmes d’enseignement sont aux mains de religieux doctrinaires. Outre le contenu des cours souvent détestables, les méthodes pédagogiques découragent la réflexion individuelle et le développement de l’esprit critique. Un tel système est donc incapable de former les chercheurs, les ingénieurs et les cadres dont l’économie saoudienne a besoin. Pourtant une réforme du système éducatif est plus qu’urgente :

Un économiste saoudien souligne : « l’Arabie saoudite est dans une situation comparable à celle de la Chine après la mort de Mao. Soit nous maintenons le statut quo et nos jeunes resteront inadaptés aux besoins de la société contemporaine, dans cette hypothèse nous sombrerons rapidement dans le déclin, soit nous épousons la modernité et nous rendons aux jeunes des raisons d’espérer. Pour cela une refonte du système éducatif est indispensable ».

Le problème c’est que cette réforme reste tributaire de l’acceptation des religieux qui rechignent à toute idée de changement. Cette crise religieuse est née aussi de la guerre du Golfe en 1990. Quand un demi, millions d’américains et occidentaux déferlent sur le sol saoudien afin de vaincre l’Irak et sauver une monarchie aux abois. Pour le roi laisser les Américains s’installer dans le berceau de l’Islam était un cas de force majeure plaidait-il en 1995 devant son conseil consultatif.

Pour des opposants saoudiens, les dirigeants ont failli à l’honneur et à la solidarité arabe et islamique. Ils se sont rendus coupable de « Fitna », autrement dit d’avoir fait naître la dissension parmi les musulmans, suite - disent-ils - à  « la profanation du sol saoudien par des soldats infidèles »

Les attentats de Riyad en 1995 contre le siège de la garde royale, puis de Dahran en juin 1997 contre la base américaine ont démontré l’existence de groupes religieux farouchement opposés à la famille royale et à la présence de troupes étrangères sur le sol saoudien.

Interrogé par le quotidien britannique The indépendant, Oussama Ben Laden l’un des plus célèbres opposants à la famille royale, déclarait que « l’Amérique est hostile à tous les musulmans, soutient les juifs en Palestine, approuve les massacres de musulmans en Palestine et au Liban ». La famille royale a selon lui laissé Washington occidentaliser l’Arabie et coloniser son économie.

L’opposition religieuse intégriste clandestine dans le pays regroupe des prédicateurs, des étudiants et des citadins marginalisés. Deux de leurs leaders les plus écoutés, le cheikh Salman al-Awda et Safar al-Hawali ont été arrêtés et libérés sous la pression des religieux. L’opposition est également représentée à l’étranger notamment à Londres d’où opère Muhammad al-Masaari qui a regroupé ses partisans dans le comité pour la défense des droits légitimes un groupe de surveillance islamiste crée à Riyad en 1993 interdit par les autorités. Le roi a cherché à récupérer ce mouvement en le séduisant en prônant le renforcement du conservatisme religieux par la création en 1993 du conseil de consultation sans y parvenir.

La contestation la plus virulente est venue de la part de l’imam Hammoud Ben Oqla qui dans une fatwa a jugé je cite que « quiconque soutenait les infidèles contre des musulmans devrait être lui-même considéré comme infidèle. Jamais depuis la prise de la grande mosquée en 1979, la menace n’a été aussi directe.

Le pouvoir a tenté en main de retirer cette fatwa, le fait qu’il soit originaire de la région de Bourayda explique ceci, cette localité étant au cœur du Nadj bastion du wahhabisme le plus rigoriste et le plus conservateur. Il faut rappeler que cette  région a déjà été le foyer d’une révolte en 1994 menée par des imams wahhabites Awda et safar.

Ce couple dirigeant du pays formé par la famille royale et les groupes religieux fonctionne d’une façon pour le moins bizarre : lorsque le souverain est affaibli (tel les rois Saoud Khaled, ou Fahd) les religieux servent de relais en occupant  rapidement  l’espace disponible, manière ingénieuse de lutter contre le risque du vide politique, dans lequel d’autres oppositions notamment démocratiques peuvent s’y intégrer.

A l’inverse face à un dirigeant fort et surtout crédible sur le plan religieux (tel Abdelaziz, Fayçal ou Abdallah) les religieux sont contraints de s’incliner et d’accepter des compromis. Mais cela ne suffira pas pour les raisons évoquées plus loin.

Le défi  politique

Un contexte politique guère propice aux décisions radicales et une succession ouverte. Le roi Fahd 73 ans diabétique et victime d’une embolie cérébrale en 1995, c’est depuis le prince héritier Abdallah qui gère officiellement le pays depuis 1996. Le prince demi-frère du roi est un patriote austère, considérée comme proche de la Syrie et comptait plusieurs conseillers d’origine syrienne. On le dit anti-américain, ses idées correspondent aux aspirations du peuple. Hait par les conservateurs, il compte sur l’inscription de l’Arabie saoudite à la commission des droits de l’homme des Nations unies qui serait un moyen pour lui de faire pression sur les conservateurs.

Le problème c’est que le prince héritier est aussi âgé de 79 ans ce qui signifie que le pays risque de connaître à l’avenir un jeu de successions rapides. D’ou la spéculation sur une certaine montée en puissance de dirigeants moins âgés tel le prince Saoud, fils de l’ancien roi Faysal, ou le prince Salman bin Abdelaziz ancien ambassadeur à Washington, démissionnaire depuis 2005, dit-on pour des raisons politiques et de protestation, l’un des frères cadets du roi et actuel gouverneur de Riyad. On parle aussi de nouvelles générations tel Le prince Bandar ambassadeur à Washington ou Walid Ibn Talai l’un des principaux actionnaires de Disney land. Mais rien n’est écrit d’avance et la loi fondamentale promulguée par Fahd en 1992 ouvre désormais le trône aux petits-fils d’Ibn Saoud.

Ce qui est certain c’est que rien n’est encore joué et le pouvoir de la maison des Saouds né au début du siècle avec la reconquête de Riyad par le roi Abdel-Aziz en 1902 et confronté à la plus grave crise de sa courte existence dont il ne sortira  probablement pas indemne et pourrait être remis en question avant l’avènement du siècle prochain au pire.

La relecture des innombrables analyses qui depuis plus de 40 ans prédisent la fin du régime saoudien incite donc à la prudence.

Au mieux le royaume n’échappera pas à une réforme politique fut-elle minime afin de relâcher les tensions internes et externes qui fragilisent ses bases et laissent le champs libre au pouvoir non déclaré des religieux animé par un Islam revendicatif de nature à mettre en danger le pouvoir des Saouds.

Mohamed TROUDI - Chercheur en relations internationales et stratégiques, analyste en politique étrangère, Paris.

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