"SITUATION SECURITAIRE EN ALGERIE: L’ENLISEMENT" parJean-Michel Salgon, politologue, spécialiste du Maghreb.
Chaque jour la presse algérienne fait état d’attentats, d’arrestations, de ratissages de l’armée algérienne. Alors que lors de son premier mandat (1999-2004) la pression terroriste s’était à l’évidence réduite, à la suite de la mise en œuvre de sa politique de concorde civile, le président Bouteflika n’a pas réussi à rétablir à ce jour la paix en Algérie, objectif ultime qu’il s’était fixé pour rentrer définitivement dans l’histoire. Le niveau de violence semble être constant depuis 2004, comme en témoigne les nombreux bilans diffusés par la presse. Plus d’une vingtaine de wilayas (départements), soit la moitié (48 au total) sont encore à ce jour, et à des degrés divers, concernées directement par la violence terroriste : Ain Defla, Annaba, Batna, Bejaïa, Biskra, Blida, Bordj Bou Arreridj, Bouira, Boumerdès, Constantine, Djelfa, Jijel, Khenchela, Mascara, Ouargla, (El) Oued, Sidi-Bel-Abbès, Saida, Skikda, Tébessa, Tipaza, Tissemslit, Tizi-Ouzou, Tlemcen.
Ces dernières semaines, des actes terroristes ont été perpétrés principalement contre des gardes communaux et des agents de sécurité, notamment dans les Aurès et en Kabylie. Des postes de surveillance gérés par des gardes communaux ont été attaqués dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Tous ces attentats ont été meurtriers. Six membres de ce service de sécurité et des membres d’un groupe de légitime défense ont été abattus lors d’une embuscade à proximité de la localité de Ain Fekan dans la wilaya de Mascara. Depuis l’année 2002, les services de sécurité algériens interrogés sur le nombre des combattants encore en activité font état invariablement d’un effectif évalué à 700 à 800 terroristes. Dix-sept années après le début du conflit, diverses sources, font état régulièrement du ralliement de jeunes, souvent originaires de petites communes rurales, notamment dans certaines wilayas du centre (Boumerdès, Tizi-Ouzou). Les grandes villes ne sont plus qu’épisodiquement concernées par le terrorisme et les groupes armés sont surtout présents en milieu rural à proximité de massifs au relief accidenté qui constituent des zones refuges souvent difficiles d’accès. Les victimes des groupes sont pour la plupart des membres des forces de sécurité (militaires, gendarmes, policiers, gardes communaux). Certes beaucoup moins nombreux qu’au début du conflit, les nouveaux ralliés appartiennent en quelque sorte à la troisième génération des maquisards islamistes. Les plus anciens, ceux qui avaient intégré les premières cellules terroristes durant les années 1992-1994, ont été tués lors de combats ou pour les plus chanceux bénéficient du statut de repentis, comme l’émir Madani Mezrag, ancien responsable de l’Armée islamique du salut ou l’émir Ali Ben Hadjar ancien chef du mouvement armé de la Ligue islamique pour la dawa et le djihad. Les premières mesures de clémences ont été adoptées en 1995 et les dispositifs successifs reposant sur des amnisties partielles, des remises de peine et des mesures de réinsertion ont démontré leur limite. Le climat international (la guerre en Irak et en Afghanistan) a favorisé le recrutement de ces nouveaux combattants qui sont depuis 2006 parfois affectés sur d’autres théâtres d’opérations (l’Irak, le sahel). Depuis la création officielle d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) en janvier 2007 rassemblant les anciens du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) et des combattants de diverses nationalités (marocains, mauritaniens, tunisiens….), les réseaux sahéliens de l’organisation, qui existent depuis de nombreuses années se sont renforcés bénéficiant de complicités locales. Des cellules itinérantes opèrent dans une vaste région comprenant l’extrémité nord de la Mauritanie, le sud algérien, l’ouest du Niger et le nord du Mali. Elles se sont heurtées aux forces militaires maliennes après avoir perpétré plusieurs enlèvements et sont vraisemblablement à l’origine de l’attentat commis par un kamikaze le samedi 8 août 2009 devant la clôture de l’ambassade de France en Mauritanie.
Jean-Michel Salgon, politologue, spécialiste du Maghreb, auteur, coordinateur du Dictionnaire géopolitique de l’islamisme (Bayard) (octobre 2009).