"La garde à vue est inconstitutionnelle !" Syndicat des Avocats de France
COMMUNIQUE
Le Conseil Constitutionnel vient de déclarer ce jour que les modalités de la garde à vue française ne sont pas conformes à la Constitution et a, en conséquence, enjoint au législateur de réformer les articles 62, 63, 63-1, 77 et 63-4 alinéas 1 à 6 du code de procédure pénale avant le 1er juillet 2011.
Le Conseil Constitutionnel relève notamment que, depuis 1993, des modifications des règles de la procédure pénale ont conduit à l’augmentation importante du nombre des gardes à vue et à un déséquilibre entre les pouvoirs des officiers de police judiciaire et les droits des personnes placées en garde à vue, aboutissant à ce que, « même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci »[1].
Il constate également que les modifications législatives ont abouti à une réduction des exigences conditionnant l’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire dont le nombre est passé, entre 1993 et 2009, de 25 000 à 53 000.
Il considère que ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures, et ont renforcé l’importance de la phase policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée.
Pour déclarer le régime actuel du droit commun de la garde à vue contraire à la Constitution[2], le Conseil Constitutionnel se fonde sur le principe de « rigueur nécessaire » résultant de l’article 9 de la Déclaration de 1789 et la nécessaire conciliation entre, d’une part la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, et d’autre part l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, dont le respect des droits de la défense découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 et la liberté individuelle placée, par l’article 66 de la Constitution, sous la protection de l’autorité judiciaire.
En l’espèce, la disproportion tient tant au champ d’application de la garde à vue, laquelle est possible même pour les infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement[3], qu’à l’insuffisance des droits de la défense : le fait qu’une personne puisse être interrogée en garde à vue sans le concours effectif d’un avocat et que cette interdiction soit générale est apparu excessif au Conseil Constitutionnel[4].
Enfin, le Conseil Constitutionnel rappelle que le fait que la personne gardée à vue ne reçoive pas notification de son droit de garder le silence est également contraire à la Constitution[5].
Le Syndicat des Avocats de France se réjouit que l’assistance d’un gardé à vue par un avocat soit enfin reconnue comme une garantie du bon déroulement d’une enquête, et non comme une menace sur celle-ci ; elle comprend nécessairement le droit d’accès au dossier, la présence de l’avocat pendant les interrogatoires, confrontations et perquisitions, le droit de poser des questions et de demander des actes.
Le Syndicat des Avocats de France ne peut que saluer cette décision confirmant que la loi ne peut valablement interdire systématiquement à une personne placée en garde à vue de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat.
Le SAF restera particulièrement vigilant, afin que la réforme induite par la décision du Conseil Constitutionnel garantisse effectivement les droits de nos concitoyens, ce qui suppose que des moyens financiers considérables soient mis en oeuvre par l’État au titre de l’aide juridictionnelle.
Les avocats sauront assumer leurs nouvelles missions pour garantir le droit de tous.
Paris, le 30 juillet 2010
Contact : saforg@orange.fr
Tél.01 42 82 01 26
Jean Louis BORIE
Président du SAF
06 07 13 09 37
[1] Considérant n°16, pages 10 et 11
[2] Le Conseil Constitutionnel a, en revanche, jugé irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité portant sur le régime dérogatoire de garde à vue en matière de criminalité organisée et de terrorisme, parce que ses dispositions avaient déjà été jugées conformes à la Constitution par la décision n°2004-204 du 2 mars 2004. Cependant, la réforme législative imposée par la décision du 30 juillet 2010 devra nécessairement comporter des modifications du régime dérogatoire qui garantissent à tous le droit à l’assistance effective d’un avocat, dans le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
[3] Considérant n°27, page 13,
[4] Considérant n°28, pages 13 et 14
[5] Considérant n°28, page 14. Rappelons que la loi du 15 juin 2000 avait imposé que le gardé à vue soit informé de son droit de ne pas répondre aux questions des enquêteurs et que la notification du « droit au silence » a été supprimée par l’article 19 de la loi du 18 mars 2003