"INTERVENIR EN SYRIE : QUEL INTERET ? " par Roland HUREAUX
Les intérêts qui entraînèrent la première guerre mondiale étaient à peu près clairs : la volonté d’hégémonie européenne et maritime pour l’Allemagne, le souci d’y faire barrage pour l’Angleterre, la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine pour la France, la fuite en avant d’empires en crise, pour l’Autriche et la Russie.
Ceux qui ont déclenché la seconde guerre mondiale sont encore plus clairs : l’ambition d’un empire mondial pour l’Allemagne et le Japon, le souci légitime de se défendre une fois attaqués pour la Pologne, la France, le Royaume-Uni, l’URSS et enfin les Etats-Unis. Seule l’Italie de Mussolini, pas vraiment guerrière, mais aveuglée par un mimétisme stupide, fut irrationnelle.
Si la crise internationale relative à la Syrie devait gravement dégénérer à la suite des interventions projetées actuellement par les puissances occidentales, on chercherait en vain quels intérêts majeurs auront motivé leur terrible prise de risque, spécialement celle de la France, dans cette affaire.
Le pétrole ? Il n’y en a guère en Syrie.
Nos intérêts historiques ? Il s’agissait surtout de protéger les chrétiens : ils conduiraient donc à soutenir le régime d’Assad qui le fait mieux que quiconque.
Défendre Israël ? Mais il est de notoriété publique que ses dirigeants sont divisés sur la question syrienne : une partie d’entre eux ne souhaite pas voir, si Assad était renversé, les islamistes, voire les Turcs, à 100 km de Jérusalem. On les comprend. La Syrie a-t-elle d’ailleurs jamais menacé Israël depuis 40 ans qu’elle est dirigée par la famille Assad ?
Détruire le Hezbollah, allié de l’Iran et menace pour Israël ? Mais l’extension de la guerre à toute la Syrie, et sans doute au-delà, n’est-elle pas un détour totalement disproportionné à un tel objectif ?
Briser l’arc chiite qui enveloppe aujourd’hui le Proche-Orient, du Liban à l’Iran ? Mais cet arc n’existerait pas si la guerre d’Irak n’y avait établi un pouvoir chiite : il n’ y avait pas assez de think tanks outre-Atlantique pour prévoir que la règle majoritaire appliquée à ce pays conduirait à ce résultat ? Avons-nous d’ailleurs à épouser les intérêts sunnites ?
Contenir la Russie ? Mais elle aussi se trouve sur la défensive. Après la chute de l’URSS, elle a dû renoncer à la plupart de ses positions en Europe et dans le monde : Angola, Mozambique, Somalie, Yémen etc. Géographiquement proche, elle redoute légitimement l‘extension de l’ islamisme ( et, pour cela, soutient l’intervention des Etats-Unis en Afghanistan), et a marqué clairement une ligne rouge en Syrie : elle ne tolèrera pas sans réagir le renversement du régime d’Assad . Un avertissement clair qu’il est très inquiétant qu’on ne l’entende pas.
Les dangers de la diplomatie des droits de l’homme
Faute d’intérêt clair et proportionné au risque, il ne reste aucun autre motif pour expliquer l’escalade à laquelle se livrent aujourd’hui les Occidentaux que le souci des droits d’homme : la rhétorique médiatique ( relayée en France par le parti socialiste) assimile jour après jour Assad à Hitler. Mais le rapprochement est absurde. Hitler voulait conquérir le monde. Assad ne veut conquérir rien du tout, seulement qu’on le laisse en paix: il a eu autrefois la velléité d’absorber le Liban, contre nos intérêts pour le coup, mais c’est fini et nous ne lui en avons pas trop voulu ; il fut l’hôte d’honneur du défilé du 14 juillet 2008. Hitler avait entrepris d’éliminer physiquement les minorités, principalement juive, en Europe mais en Syrie, c’est au contraire le régime Assad qui, depuis quarante ans, protège, mieux que tout autre, ses minorités et ce sont ses opposants, au moins les plus radicaux , qui veulent les éliminer.
Le régime d’Assad est loin d’être idéal ; confronté à une guerre civile appuyée de l‘extérieur, il a recours à des moyens atroces pour se défendre ( sans que l’on soit sûr que la responsabilité de l’utilisation de gaz toxiques lui incombe). Ses adversaires aussi. Mais il n’était à la base qu’une dictature militaire classique , comme l’Occident en a toléré pendant des années un peu partout dans le monde et en a même mis en place en Amérique latine il n’y a pas si longtemps. C’est le même type de régime que beaucoup sont soulagés, depuis quelques jours, les illusions du « printemps arabe » retombées, de voir revenir en Egypte !
Il est sans doute intrinsèque à la diplomatie des droits de l’homme, parce qu’elle est hystérique et immature, de se fonder sur une analyse biaisée des réalités qu’elle se propose de corriger. Mais même si cette analyse n‘était pas biaisée, cette diplomatie demeure erronée dans son principe. Une diplomatie mûre doit être une diplomatie guidée par nos seuls intérêts. La récente intervention au Mali entrait dans ce cadre. Cette diplomatie qui a l’air égoïste est en fait la seule morale. D’abord parce que c’est pour qu’ils défendent nos intérêts que nous avons élu nos dirigeants. Ensuite parce qu’ elle est le meilleur moyen de limiter les risques : on trouve toujours des compromis à partir de intérêts bien compris, jamais à partir des principes et des idéologies.
Sous les apparences de la supériorité morale, la diplomatie des principes conduit tout droit à la perdition. « Qui veut faire l’ange fait la bête ».
S’engager dans une affaire aussi grave que la guerre, spécialement dans un terrain aussi miné que le Proche-Orient sans pouvoir se prévaloir d’un intérêt clair est le signe d’un grave dérèglement des esprits. Jupiter dementat quos vult perdere.
Roland HUREAUX
Lire également :
« SYRIE : L’INCULTURE ET l’IGNORANCE AUX COMMANDES ! » par Roland HUREAUX (Diplomatie française)
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(*) Normalien et énarque, Roland Hureaux a été membre du cabinet de Philippe Séguin et professeur associé à l'Institut d'études politiques de Toulouse. Il écrit régulièrement dans la presse nationale mais aussi dans "Politique-Actu.com".
Le Blog de Roland HUREAUX : http://roland.hureaux.over-blog.com/
Commentaires
http://www.infosyrie.fr/re-informa...nt-166629.
Ma question : Approuvant entièrement votre action vis à vis de la Syrie, puis-je utiliser vos publications dans les courriers que j'envisage auprès de nos parlementaires en charge des affaires étrangères pour argumenter afin d'arrêter notre blocus économique de la Syrie ? (Je ne trouve pas la date de votre article ci-dessus)
Une autre façon de voir est que je vous soumette ces projets de lettre et que nous décisions ensemble qui fait quoi ?
Serge Richard
@Pseserge
PS : Je cherche à rassembler depuis 2013 de l'information fiable sur la Syrie, ayant été choqué par l'empressement de L Fabius et F Hollande à accuser B el Assad d'avoir envoyé des armes chimiques sur sa population.
Mes document révèlent que certains responsables des services secrets des USA, de la GB et d'Israël qui ont par ailleurs des responsabilités civiles (ou avaient, le sénateur US Mc Cain, James Le Mesurier) sont à l'origne, sinon de la désinformation, mais du financement d'organisations islamistes comme al-Nostra.
Ce financement étai justifié auprès de la commission des affaire étrangères US, lors de l'audition du 17 septembre 2014, par le souhait de disposer des forces terrestres pour combattre l'état islamistes et que ce financement serait donné à "l'opposition modéré". Il leur était cependant caché que la priorité de ces "opposants modérés" était de renverser Bachar El Assad, avant de défaire l'état islamiste.
Nous sommes entièrement à votre disposition pour répondre à vos demandes d'informations.
Nos connaissons particulièrement bien le dossier syrien et disposons de très nombreuses sources et contacts de spécialistes en France.
Veuillez dorénavant nous contacter par courriels : politiquejlp@gmail.com.
Nous restons bien sûr à votre écoute pour toutes informations à diffuser sur ce sujet crucial.
Très cordialement.
JLPujo