Débats

GREENPEACE : un scénario électrique pas réaliste ! ( Sauvons le climat)

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"Pourquoi le scénario électrique de Greenpeace n'est pas réaliste..."

Hervé Nifenecker 24 février 2011

Greenpeace (Paix verte) vient de publier une prospective pour la production d'électricité intitulée « The battle of the grids » (la bataille des réseaux) [1]. Selon elle, l'Europe pourrait atteindre 100% d'énergies renouvelables et se débarrasser des « énergies sales ». En réalité, le rapport se concentre sur la production et le transport d'électricité et ne dit pas un mot sur les transports de personnes et de marchandises ni sur la production de chaleur. Dans ces conditions, il apparaît que son ambition est beaucoup plus modeste qu'annoncé, au moins en ce qui concerne la part des énergies non carbonées (renouvelables et nucléaires) dans la production d'électricité. La France en est à  90%, la Suède, déjà à 100%. Cette simple remarque montre bien que l'objectif principal de Greenpeace n'est pas la lutte contre le changement climatique et, donc la réduction des émissions de CO2, mais bien d'exclure le nucléaire du mix énergétique.

Pourquoi ce nouveau rapport ?

Cette prospective a une logique interne qui est le soutien  aux énergies renouvelables intermittentes  que sont l'éolien et le solaire. Développer au maximum ces énergies est clairement la priorité numéro un de Greenpeace qui rejoint là les objectifs  du lobby industriel portant ces énergies (le SER en France). Cette priorité, on le verra, l'emporte sur celle de la lutte contre le réchauffement climatique. C'est ainsi que de 2007 à 2050 la puissance éolienne serait multipliée par 12, la puissance photovoltaïque par 195 [2]. Les auteurs du scénario se sont aperçu (enfin) que l'augmentation de la part des énergies intermittentes allait poser des problèmes de sécurité d'approvisionnement et de stabilité de réseau. En effet,  dès à présent,  ces effets se font sentir en Allemagne et en Espagne, pays qui renoncent à la priorité absolue donnée à ces énergies pour  l'accès au réseau, priorité encore assurée en France.  En même temps, aussi bien l'Allemagne que l'Espagne envisagent  d'allonger la durée de vie de leurs centrales nucléaires.

Greenpeace a donc pris conscience qu'il y avait une limite à la pénétration des énergies renouvelables intermittentes. Inversement elle reconnaît qu'il y a nécessité d'assurer  une production fiable et prévisible. Actuellement, celle-ci est assurée par l'hydroélectricité, les centrales fossiles et les centrales nucléaires. Greenpeace refuse à la fois les centrales à charbon et les centrales nucléaires, au prétexte que ces centrales manquent de la souplesse nécessaire pour faire face aux variations rapides de la production des énergies intermittentes, en particulier de l'éolien. Avec la bonne foi qui la caractérise GP ne fait pas de différence entre centrales à charbon et centrales nucléaires [3], ne mentionnant nulle part le fait que ces dernières n'émettent pas de gaz carbonique. Par contre on peut être surpris de lire que le seul reproche fait au nucléaire  est  le manque de souplesse des réacteurs [4]; pas un mot sur les risques et la gestion des déchets. GP sentirait il que ces arguments   sont moins efficaces qu'il y a quelques années?  Pour sortir du charbon et du nucléaire, GP propose de recourir au gaz naturel [5], au moins jusqu'en 2030.

Pour aller plus loin dans l'analyse du rapport, on doit regretter qu'il ne chiffre que les puissances installées et non les productions. C'est effectivement regrettable puisque, à puissance égale, une centrale nucléaire (ou à charbon) produit 6 à 8 fois plus qu'un centrale photovoltaïque.  J’ai donc été contraint de faire des hypothèses sur les facteurs de charge [6] des différentes techniques de production [7].  De même, il est regrettable que le rapport ne donne pas de façon  précise les émissions de CO2, et se contente de donner des chiffres de décroissance relative.

L’étape de 2020

La configuration proposée pour 2020 est une étape particulièrement significative car elle illustre parfaitement les priorités de Greenpeace. La puissance installée  des énergies renouvelables intermittentes augmente de plus d'un facteur 5.  Celle des énergies renouvelables non intermittentes de 25%. Celle du nucléaire diminue de plus d'un facteur 2. La puissance  des centrales à charbon augmente de 30%, celle des centrales à gaz de  16%. La première étape est donc de remplacer le nucléaire par les énergies renouvelables et, même fossiles. Si le nucléaire avait simplement gardé la même production qu'en 2007, il aurait pu remplacer des centrales à charbon et on aurait évité l'émission de plus de 900 millions de tonnes de CO2. Le problème du réchauffement est, à l'évidence, au second plan.

Au second plan, aussi, les besoins de financement:  les investissements dans l'éolien et le solaire atteindraient environ 1000 milliards d'euros [8], soit le coût de construction de 330 réacteurs qui pourraient produire 2500 TWh par an  à comparer aux 700 produits par les énergies intermittentes. Ces chiffres ne sont pas mentionnés dans le rapport qui se contente d'évaluer l'investissement nécessaire pour les réseaux. (98 G€ jusqu'en 2030).

L’étape de 2030

La période de 2020 à 2030 prévoit, pratiquement, la fin du nucléaire, et, surtout, celle du charbon. La puissance nucléaire est ramenée à 17 GWe et celle du charbon à la même valeur, alors que, en 2020 la puissance des centrales à charbon devait atteindre 196 GWe. Cette décroissance du charbon et du nucléaire est compensée par une augmentation de 90% de la puissance des centrales à gaz,  par une augmentation de plus d'un facteur 2 de la contribution des énergies renouvelables non intermittentes et de 60% de celle des énergies renouvelables intermittentes. Les centrales à gaz devraient émettre environ un milliard de tonnes de CO2. Ce chiffre serait divisé par 2 par rapport à celui de 2020 grâce au passage du charbon au gaz. Toutefois, ce calcul ne tient pas compte des fuites de méthane associées à l'utilisation du gaz. Un fuite de 2 à 5% de méthane suffit à doubler la contribution à l'effet de serre de l'utilisation du gaz. Greenpeace est muette sur ce problème, de même que rien n'est dit sur l'évolution probable du prix du gaz qui est le facteur essentiel dans la détermination du prix de l'électricité, ni de la dépendance  absolue du système électrique européen vis à vis de la livraison de gaz en quantité suffisante. A moins que ce gaz provienne du sous sol européen grâce au gaz de schiste. On a du mal à comprendre alors l'hostilité de Greenpeace à  l'exploitation de ce dernier. Si Greenpeace ne souffrait pas d'allergie au nucléaire, l'émission d'un milliard de tonnes de CO2 serait très simplement évités en maintenant et développant la production nucléaire.

L’étape de 2050

De 2030 à 2050 le rapport prévoit le remplacement du gaz naturel par le biogaz  et la poursuite du développement  des autres énergies renouvelables. Cette étape pose de nombreuses questions.

  • Tout d'abord, la puissance intermittente (éolien+ solaire) est considérable,  atteignant 1740 GW, à comparer à une puissance totale de 2401 GW. Il est possible que les conditions climatiques soient telles qu’il existe des périodes pendant lesquelles les productions éolienne et solaire  seraient très faibles.  Or la puissance non intermittente de 661 GW serait tout à fait incapable de se substituer aux 1740 GW intermittents. Il s'ensuit qu'il ne serait pas possible d'exploiter complètement et en même temps les équipements éoliens et solaires. Autrement dit, on ne pourra pas leur assurer une priorité d'accès au réseau alors que cette exigence est affichée dans l'exposé des motifs du rapport.
  • Une production géothermique d'une puissance de 96 GW est envisagée. Or le flux géothermique moyen est compris entre 0,05 et 0,13 W/m2 en France. En retenant l'estimation haute et compte tenu que le rendement de la production géothermique est généralement pris égal à 10% on voit qu'il faudrait équiper plus de 7 millions de km2 pour atteindre les objectifs fixés dans le rapport. Cela paraît évidemment impossible. Il est vrai qu'il existe de gisements de roches sèches qui permettent d'obtenir de la vapeur à quelques centaines de degrés (par exemple à Soultz la forêt). Mais, dans ces cas, c’est en réalité une réserve de chaleur qu’on exploite. Cette exploitation est possible pendant 20 à 50 ans selon les cas. Dans ces conditions on ne peut pas ranger la géothermie parmi les énergies renouvelables, sans compter les conséquences environnementales qu'auraient l'utilisation de la technique de fracture des roches à grande profondeur.
  • Le dernier point d'interrogation et, sans doute, le plus important  est de savoir comment fabriquer le bio-gaz en quantités suffisantes.  En supposant que les centrales à bio-gaz fonctionnent la moitié du temps leur production atteindrait 1344 TWh soit, environ, un besoin  de 260 millions de tep. Ces quantités sont très largement supérieures à celles qu'on peut espérer de la décomposition des déchets organiques. Il sera donc nécessaire de les produire par thermolyse de la biomasse. Les meilleurs rendements de thermolyse sont de l'ordre de 50%. Il faudra donc disposer d'une ressource annuelle de biomasse de 500 millions de tep. O,r selon la récente étude « Vision 2050 » du groupe des Verts européens, les limites de productibilité énergétiques des sols de l'Europe des 27 seraient de 238 Mtep. Et cette quantité regroupent tous les usages énergétiques de la biomasse, chaleur, biocarburants et production d'électricité. Il faudrait donc importer des quantités considérables de biomasse; sous quelle forme, par quels moyens, avec quelles conséquences environnementales? Silence du rapport.

Conclusions

Si l'étude commandée par Greenpeace est agréable d'aspect et donne une impression de sérieux de prime abord, un examen plus attentif se révèle bien décevant. Tout d'abord, contrairement à toutes les études similaires, on ne présente que les puissances installées sans parler des productions annuelles. Aucun regard critique n'est donné concernant la disponibilité des ressources, ceci étant particulièrement criant pour la géothermie et la biomasse en ce qui concerne les prévisions pour 2050. A l'exception des réseaux de transport de l'électricité, la question des coûts est simplement omise alors que, pour 2020, époque à laquelle les évolutions techniques par rapport à 2010 seront  faibles , les investissements dans la production atteindrait largement plus de mille  milliards d'euros pour les seules installations éoliennes et solaires. Toujours en 2020, la priorité donnée à la sortie du nucléaire se traduirait par une augmentation des émissions de CO2 de près de un milliard de tonnes par an.

Plus qu'un travail sérieux le rapport diffusé par Greenpeace est une habile propagande cherchant à contrer les projets de centrales nucléaires qui sont en train de voir le jour au Royaume Uni, en Italie, aux Pays Bas, dans les pays de l'Europe de l'Est, et les retards pris par les politiques de sortie du nucléaire en Allemagne, en Belgique, en Suède et en Espagne. Cette remontée du nucléaire étant, pour une part importante, liée à la volonté de diminuer les rejets de CO2, il fallait rapidement (et la qualité du travail se ressent de cette volonté d'aller vite) allumer un contre-feu.

Retrouvez ce communiqué et mettez vos commentaires sur le blog de Sauvons Le Climat : http://sauvonsleclimat.typepad.fr/le_blog_de_lassociation_s/2011/02/hervé-nifenecker.html

Commentaires

de JM-Dariosecq
Ce qui est formidable avec les rapports techniques, c'est que les experts de tous les bords noient le profane sous des chiffres et des données, au point de lui faire oublier l'essentiel. Et c'est peut-être justement là l'essentiel...

Toutes les sources d'énergie (renouvelables ou non) et tous les transporteurs d'énergie (électricité, hydrogène, air comprimé,...) posent des problèmes. Surtout lorsque l'on passe de l'artisanat d'auto-suffisance à l'échelle industrielle et au gigantisme des multinationales.

Certains problèmes sont sans doute plus graves (et dangereux) que d'autres. Mais la grande hypocrisie est surtout que les externalités négatives ne sont pas toujours payées par le consommateur immédiat, qui croit donc à un bon rapport service rendu/prix à payer.

Mais qu'elles sont plutôt payées par la Nature (jusqu'à une certaine limite, pas loin d'être atteinte), par les habitants les plus pauvres, par les contribuables ou par les générations futures. Et chaque avocat de telle ou telle source d'énergie de prier et psalmodier : "Pouvu que ça dure !". Mais justement, ça ne peut pas durer éternellement.

La question "Quelles sources d'énergies sont moins pires que les autres ?" (de tel ou tel point de vue) vient donc à mon avis dans un second temps. Après la question essentielle et politique par excellence : "Quand est-ce qu'on se décide à faire diminuer notre (pas celle des Burkinabés) consommation-gaspillage d'énergie ?"

C'est à dire à repenser nos habitudes de production, de consommation, de transports de marchandises et déplacements de personnes. Des habitudes d'enfants gâtés ou plus exactement de prédateurs irresponsables, qui sont tombés dans la démesure mais refusent toujours de l'admettre.

Quand cette question sera enfin posée, réfléchie, discutée, il sera toujours temps ensuite de faire appel à des ingénieurs et techniciens pour nous proposer des scénarios techniques et s'étriper sur les chiffres...
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04 March - 22h50

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