Débats

"EDF, AREVA, Alstom et les autres : Où est le problème ?" Sauvons le Climat

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[Centrale nucléaire de Cattenom en France]

Alors que l’énergie nucléaire reprend un peu partout du poil de la bête, lentement mais sûrement et même en Europe, les désaccords réels ou supposés entre les grands acteurs français du nucléaire, désaccords bien montés en épingle dans les médias, donnent une pauvre image de l’industrie française et ne mettent pas en valeur les atouts indéniables de celle-ci sur un marché mondial très concurrentiel.

Et tout le monde de regretter le bon vieux temps, l’âge d’or du Plan Messmer (lancé en 1974) où ces mêmes acteurs, unis dans une vision commune qui transcendait leurs désaccords, ont réussi un exploit universellement reconnu.  Et n’allez pas croire que ceci s’est accompli sans la moindre friction dans une ambiance éthérée, ou que les Marcel Boiteux, Michel Hug, André Giraud, Jean-Claude Leny, Philippe Boulin, Ambroise Roux et Georges Besse manquaient de la forte personnalité que l’on reproche parfois à leurs successeurs d’aujourd’hui.

Mais le « programme quantitatif » lancé pour sortir le pétrole de la production d’électricité en France était une aventure hexagonale avant tout – surtout en ce qui concernait les réacteurs- car le cycle du combustible était déjà une affaire très multinationale.  Du coup, dans l’hexagone, les rôles étaient distribués sans ambiguïté : Maître d’ouvrage, Electricité de France, société nationale.  Maître d’œuvre principal : la Direction de l’Equipement d’EDF.  Framatome fournissait l’îlot nucléaire, Alsthom (devenu ensuite Alstom), le groupe turbo-alternateur, et le CEA, bientôt remplacé par sa filiale COGEMA, assurait les services du cycle de combustible à l’exception de la fabrication des assemblages, qui relevait de Framatome et Péchiney-Ugine-Kuhlmann.  Les besoins de R&D étaient assurés en partie dans le cadre des accords « quadri-partites » (Westinghouse, Framatome, EDF, CEA), le complément étant assuré par le CEA (et EDF) en soutien des industriels.  Les ministres successifs en charge de l’Industrie, Michel D’Ornano, René Monory et André Giraud, se sentaient responsables de la bonne marche du programme vis-à-vis de la nation et en rendaient compte au Président de la République.

Néanmoins, quand il y eut des tiraillements, ceux-ci ont concerné les programmes à l’exportation, pourtant complètement minoritaires à l’époque (d’où de multiples arbitrages et la constitution de sociétés comme Sofratome, Sofinel, etc.).  La concurrence possible entre Framatome et Technicatome avait été arbitrée par l’Etat sur la base de la puissance des réacteurs (plus ou moins de 200 MWe).

Aujourd’hui, le contexte est bien différent. 

Depuis l’achèvement du palier « N4 » (N comme « nouveau », pour dire que le concept de PWR avait été francisé), à savoir les centrales de Chooz-B et Civaux, le marché des réacteurs est surtout mondial et sa composante nationale, Flamanville 3 aujourd’hui et Penly 3 demain, est complètement minoritaire.  EDF n’est plus une société nationale, son activité déborde largement des frontières françaises et plus de 50% de son chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger. Les équipes et le savoir-faire nucléaires de Siemens sont maintenant dans AREVA où Framatome, COGEMA, Technicatome et d’autres industries sont désormais rassemblés.  La fusion GDF-Suez a fait émerger, sur la scène française,un autre opérateur important de centrales nucléaires (de par son expérience des deux centrales belges de Doel et Tihange), et TOTAL, le géant pétrolier, ne fait pas mystère de son intérêt pour le nucléaire.

Entre l’achèvement de la construction du palier N4, avant 2000, et la commande de l’EPR de  Flamanville 3, fin 2007, l’industrie française à maintenu son savoir-faire grâce au soutien au parc en exploitation (notamment les révisions décennales et les remplacements d’équipements), et à sa participation au programme nucléaire chinois ; mais beaucoup de ses spécialistes sont partis en retraite, normale ou anticipée, et ce n’est qu’après 2005 qu’ont repris les embauches de nouveaux salariés, bien diplômés mais sans expérience. Framatome n’a jamais eu d’expérience comme architecte-ensemblier d’une centrale nucléaire complète(1), mais Siemens avait eu cette expérience en Allemagne. Malheureusement, la plupart des spécialistes allemands compétents en la matière sont partis à la retraite avant même la fusion au sein d’AREVA.

Les concurrents mondiaux ont, eux aussi, beaucoup changé : ABB, Combustion Engineering et Westinghouse appartiennent désormais à Toshiba, General Electric a fortement resserré ses liens avec Hitachi et AREVA s’est allié avec Mitsubishi pour développer un modèle de REP plus petit que l’EPR.  L’industrie russe, indissociable du gouvernement éponyme, est un concurrent redoutable dans presque tous les secteurs nucléaires. Enfin, on voit émerger une concurrence Sud-Coréenne en attendant la Chine et, peut-être un jour, l’Inde.

Les relations client-fournisseurs qui régissaient les rapports entre EDF et les sociétés industrielles françaises du temps du plan Messmer ne sont plus systématiquement pertinentes dans ce marché mondial reconfiguré.  Certains clients potentiels insistent pour qu’une offre française inclue le retour d’expérience inégalé d’EDF, architecte-ensemblier et opérateur, mais d’autres apprécient mal de voir cette offre présentée par le plus puissant de leurs concurrents.  Dans ces conditions, pour être performante à l’exportation, l’industrie française doit pouvoir adopter une « géométrie variable » adaptée aux désirs de chaque client.  Parfois, comme jadis, EDF doit être le chef de file de l’équipe « France » (c’est ce que réclamaient, par exemple, les Emirats Arabes Unis), et d’autres fois, il faut qu’AREVA soit chef de file et que le rôle d’EDF se limite à ce que souhaite le client. De même, face à des géants comme Toshiba ou General Electric, l’industrie française a un atout que seuls les Russes peuvent lui disputer : la capacité de faires des offres combinant réacteurs et services du combustible, dans un format adapté à chaque client, grâce à l’intégration dans AREVA des équipes de Framatome et de COGEMA.

C’est un nouvel équilibre entre nos grands acteurs qu’il faut – rapidement – inventer et mettre en œuvre avec souplesse.  Il ne nous semble pas, en revanche, qu’il soit utile ou souhaitable de toucher à la structure ou aux missions de ces acteurs.

***

Développé en commun par Framatome, Siemens, EDF et la quasi-totalité des électriciens allemands, l’EPR est l’archétype du réacteur « de troisième génération », conçu en intégrant la leçon principale de l’accident de Tchernobyl : aussi faible qu’en soit la probabilité, une contamination massive de l’environnement est inacceptable.  Il est donc équipé de systèmes qui réduisent encore la probabilité d’occurrence d’un accident grave, mais aussi de dispositifs qui garantissent que même l’accident le plus grave imaginable, la fusion complète du cœur du réacteur, n’entraîne pas de contamination notable à l’extérieur du site.  Ce réacteur est aussi particulièrement résistant aux agressions externes, volontaires ou involontaires. L’augmentation du coût de construction due à ces dispositifs et cette protection supplémentaires doit être compensée, et au-delà, par l’augmentation de la puissance et de la disponibilité de l’installation et de sa durée de vie technique.

Conçu au départ pour le marché européen, ce réacteur a une puissance unitaire élevée, égale ou supérieure à 1600 MWe.  Une telle unité ne peut donc être raccordée qu’à un réseau de transport d’électricité de grande capacité ou très bien interconnecté à ses voisins.  Il y a donc nécessité de pouvoir proposer sur catalogue des réacteurs moins puissants, ce que fait AREVA avec un modèle REP de 1000-1100 MWe développé en commun avec Mitsubishi sous le nom commercial « ATMEA » et un modèle REB _ c’est-à-dire à eau Bouillante, et non Pressurisée _ de 1200 MWe environ dénommé « KERENA » et dont la conception est d’origine allemande.  Y a-t-il place pour d’autres modèles dans la famille des réacteurs à eau ordinaire ?  Mieux vaudrait que les principaux acteurs français ne dispersent pas trop leurs efforts : la standardisation d’une gamme limitée de modèles réalisés en série a été l’un des facteurs-clés du succès passé du programme français (2).

On voit donc clairement apparaitre des configurations très diverses. EdF peut être maître d’ouvrage (en France et Angleterre par exemple), ou maître d’ouvrage délégué (cela aurait pu être le cas dans les Emirats Arabes) ou co-investisseur et chargé de l’exploitation. Areva peut livrer clés en mains en offrant, le cas échéant, des « packages » comportant des variétés de services du combustible. GDF-Suez et Total peuvent être maîtres d’ouvrage et mettre en compétition les fournisseurs.

L’industrie française doit garder une souplesse totale et doit impérativement bâtir une stratégie adaptée à chaque affaire. L’Etat doit certainement jouer un rôle dès les premiers contacts, en tant qu’actionnaire bien sûr mais aussi en raison de l’importance diplomatique et économique de tels projets. Quelques principes apparaissent :

-                 La structure ou les missions de ces acteurs ne semblent pas devoir être modifiées sensiblement car leurs métiers sont clairs et leurs notoriétés sont acquises.

-                Une véritable organisation de pilotage stratégique doit être mise en place, capable de construire une offre globale au cas par cas.

-                Pour chaque modèle, une équipe de direction de projet de haut niveau commune à tous les acteurs impliqués doit assurer un réel leadership et avoir autorité pour régler les éventuels conflits d’interface (avec participation de l’Etat pour les questions diplomatiques et stratégiques) ; cette équipe de direction doit disposer des moyens d’ingénierie nécessaires.

-                La standardisation des équipements _ atout majeur de l’expérience française _ est un préalable pour conforter la compétitivité des offres : le nombre d’offres techniques doit donc être limité (300, 1000, 1200, 1600 MW ?).

-                Un REX (retour d’expérience) de construction et d’exploitation partagé par tous les acteurs doit être mis en place.

-                Sur la base de ce retour d’expérience et d’un portefeuille de modèles adaptés aux différentes situations (importance du réseau électrique, compétences locales, partage des fournitures,..), les projets doivent associer étroitement l’Autorité de Sûreté Nucléaire française dès les premiers choix d’options techniques et de sûreté, afin d’éviter des polémiques désastreuses pour notre industrie. Cette implication en amont de l’ASN devrait être clairement prévue dans ses missions.

-                Il serait en conséquence important que les pratiques de l’AS française soient rapidement alignées sur des bonnes pratiques internationales, les clients étrangers étant très largement formés sur la base des pratiques américaines.

-                L’adoption par la France à court terme de technologies reconnues pour le stockage définitif des déchets, que les combustibles soient retraités ou non, représenterait un atout fort de nos offres. La tenue des objectifs et des délais fixés à l’Andra dans le cadre de la loi sur les déchets doit être suivie en détail par l’Etat et l’AS qui doivent veiller à ce que les options techniques proposées et qualifiées par les industriels soient prises en compte. L’objectif est de proposer un nombre limité et standardisé de solutions techniques exportables.

-                La formation d’équipes internationales multilingues d’assistance à l’exploitation sera indispensable pour répondre à des offres globales.

Suite au rapport Roussely dont un résumé a été rendu public cet été, le Conseil de Politique Nucléaire a été réuni par le Président de la République le lundi 21 février.  Du compte rendu de ce CPN, nous retenons des points positifs : incitation forte à la coopération entre les grands acteurs EDF, GDF-Suez et AREVA, soutien à l’EPR, entre autres.  La primauté d’EDF comme architecte-ensemblier est soulignée, mais il est acté que pour certains marchés, la présence d’EDF peut n’être pas souhaitable.

Le CPN ne tranche pas vraiment en ce qui concerne les réacteurs nucléaires de 1000 MWe : d’un côté il soutien le projet de REP franco-japonais ATMEA, mais de l’autre, il soutient également le développement franco-chinois d’un modèle REP adapté au marché intérieur chinois, « de génération 3 » de puissance analogue dont il est difficile d’imaginer qu’il ne sera pas un concurrent du premier.  Est-ce bien raisonnable ?

D’un côté, il est clair qu’il est préférable que ce soit la France qui contribue au développement chinois plutôt que Toshiba ; mais de l’autre, ce modèle chinois serait en concurrence directe avec l’ATMEA retenu parmi les modèles AREVA. De toute évidence, cette contradiction n’est pas levée par les décisions du CPN.

Quant à la filialisation des activités minières d’AREVA, il est difficile d’en peser avantages et inconvénients : ceux-ci dépendront évidemment de la nature des co-actionnaires futurs de cette filiale, dont AREVA devrait garder la majorité et rester l’opérateur.

(1)  Les centrales de Koeberg et de Corée du Sud étant des copies conformes des centrales EDF de 900 MW

(2)  De fait, le choix, fait dès 1975, de ne retenir finalement que le concept de réacteur à eau pressurisée (porté par Framatome : celui du palier CP1) au détriment  de celui à eau bouillante (porté par GAAA, pour ce qui devait être le palier P2) est à mettre au crédit de la direction d’EDF.

Le collectif "Sauvons le climat " fondé en mai 2004, association loi 1901 depuis Décembre 2005, a pour ambition d’informer nos concitoyens, de manière indépendante de tout groupe de pression ou parti politique, sur les problèmes relatifs au réchauffement climatique et sur les solutions proposées pour le ralentir. Il est doté d’un comité scientifique, présidé par Michel Petit, ancien responsable du groupe français d’experts au GIEC. Son manifeste a  été signé par plusieurs milliers de personnes.
La signature du manifeste et les adhésions sont possibles sur le  
site de Sauvons Le Climat

Association Sauvons Le Climat (S L C)

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