Affaire "Bismuth-Sarkozy" : "LA DEFENSE A-T-ELLE ENCORE DES DROITS ?" Billet d'Etienne TARRIDE
[L'avocat Thierry Herzog, l'ancien Président Nicolas Sarkozy et le juge Gilbert Azibert. © AFP - THOMAS COEX, PHILIPPE LOPEZ, GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP]
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Mercredi 10 mars 2021,
La décision du Tribunal correctionnel condamnant l’un de mes confrères du fait de corruption active me semble poser des questions particulièrement graves quant à l’exercice des droits de la Défense. Il est essentiel que la Cour d’Appel se penche sur le sujet.
L’un des rôles de l’avocat de la défense dans toute affaire pénale complexe est de connaitre à chaque moment l’état d’avancement du dossier et de chercher, à chaque étape et à chaque instant, à convaincre les magistrats en charge du bien-fondé des thèses de son client, qu’il s’agisse de son innocence au regard des faits ou du Droit, ou des circonstances absolutoires ou atténuantes dont il peut disposer.
L’exercice de ces missions n'est limité que par trois impératifs. Le respect du secret de l’instruction, le respect du secret professionnel et l’abstention de toute infraction de droit commun telle la menace, le chantage, la corruption ou la subornation. En l’espèce, vous aurez deviné qu’il s’agit de l’affaire Sarkozy, c’est la corruption qui serait reprochée à l’avocat de celui-ci.
Pour fixer les idées, définissons précisément ce qu’est la corruption aux termes du Code Pénal.
Article 433- 1 : « Est puni de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 million d’Euros le fait de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public pour elle-même ou pour autrui,
1° Soit pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir ou parce qu’elle a accompli ou s’est abstenu d’accomplir un acte de sa fonction de sa mission ou de son mandat
2° Soit pour qu’elle abuse ou parce qu’elle a abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou tout autre décision favorable »
Les Magistrats et les Avocats connaissent tous ce texte. Cela n’empêche pas que dans nombre d’affaires, signalées ou non, l’Avocat d’une personne mise en cause où d’ailleurs plaignante puisse chercher à déterminer, dans une conversation avec un Magistrat qui n’est pas chargé de l’affaire et qu’il connait personnellement ou professionnellement, l’état d’avancement du dossier l’orientation qu’il semble prendre ou toute information connexe. J’estime, pour ma part que c’est son devoir et une composante essentielle de toute défense. Il n’a l’intention de corrompre personne, et le Magistrat sait très bien ce qu’il peut lui dire et ce sur quoi il doit se taire.
Cette recherche d’information fait partie intégrante du rôle de la défense ce que ne serait pas une conversation avec un témoin, une victime, un éventuel co-auteur ou complice qui, lui, ne connait pas nécessairement la loi dans toutes ses subtilités
Tous les Avocats pénalistes savent quels sont les intentions ou les espoirs des Magistrats. S’ils ne le savent pas, il ne leur faut pas longtemps pour se renseigner. Qu’un avocat puisse en parler avec un de ses clients n’est en rien répréhensible. Que le client indique à l’avocat qu’il va faire son possible n’est en rien répréhensible non plus dès lors qu’il ne détient pas de pouvoir de décision.
La lecture de l’article 433 montre que l’infraction n’est constituée que dès lors qu’il est établi qu’un engagement réciproque est expressément intervenu. Ce que nous appelons pour nous éviter une longue dissertation un « Do ut des ». Le mot clef de cet article est « proposer », mot auquel le législateur tenait au point de commettre dans le texte un vilain solécisme puisque « proposer des offres » ou « proposer des promesses » sont des expressions hors de toute syntaxe.
Il ne semble pas, à la lumière des termes du jugement, que la poursuite ou le tribunal se soit un instant préoccupé de ce « do ut des », de cette conditionnalité réciproque. Il ne semble pas non plus que la poursuite ou le tribunal se soit préoccupé de l’ordre chronologique des conversations du Magistrat et de l’Avocat et des conversations entre l’Avocat et son client. Peut-être en est-il autrement, cela ne ressort pas des termes du jugement.
Dans ces conditions, il apparait que sur le point qui me préoccupe, le jugement « historique » menace de faire jurisprudence, par intention ou par mégarde, sur une question capitale mais en l’état ignorée des commentateurs et qui concerne tous les Avocats.
Quelle est la limite exacte à établir entre la recherche nécessaire d’informations et la tentative au moins de corruption, ou s’il s’agit de témoins, de subornation ? Elle est très loin d’être définie par la poursuite ou le jugement. La prudence, ou la sagesse, imposeront désormais aux Avocats, sous peine de poursuite, de rester strictement dans les limites que le Parquet semble vouloir leur assigner. Rester cois tout au long de l’enquête, limiter son action à poser des questions à son client et aux témoins devant le juge d’Instruction, et plaider.
Réduire l’Avocat à la seule plaidoirie constitue-t-il un objectif prioritaire ou un dommage collatéral ? J’ai personnellement tendance à pencher pour la première hypothèse. Au fond, peu importe, le résultat est là, ou plutôt sera là si nous n’y prenons pas tous garde.
Etienne Tarride*
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*Etienne TARRIDE - ancien avocat au barreau de Paris, gaulliste de gauche - publie des billets régulièrement sur POLITIQUE-ACTU.COM. Il est aussi romancier.
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NOTE & Annexe :
Affaire Bismuth : la décision et les commentaires (DALLOZ.fr)
1 ) TJ Paris, 1er mars 2021, jugement correctionnel
2 ) Commentaires sur Dalloz.fr
https://www.dalloz-actualite.fr/flash/affaire-bismuth-decision#.YEkJJGhKiUk