ROM : Anina, la petite mendiante rom devenue major de la Sorbonne !
[La petite Rom qui mendiait jadis en Rhône-Alpes triomphe aujourd’hui à la Sorbonne. À 22 ans, brillante étudiante en droit, elle vise désormais la magistrature.]
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Sa voix ne se mêle pas au papotis frivole des filles « bobos » du Quartier Latin. Pour la « bohème », elle a déjà donné… Anina porte, sur le visage, une gravité qui n’est pas de son âge. Elle a 22 ans, parle cinq langues, et mène de très brillantes études à la Sorbonne.
Alors quoi ? Alors, ses grands yeux noirs ont vu trop de souffrances. Elle a connu la faim, le froid, l’humiliation et la peur.
Anina est née Rom, à Craiova, pendant le rude hiver de la révolution roumaine. Un sordide ghetto, à l’aube de sa vie, lui tenait lieu d’horizon. Dans ces conditions, aboutir en master dans la plus prestigieuse des universités françaises relève presque du miracle. Ou plutôt d’une exceptionnelle volonté. « Ce que j’ai traversé avant d’arriver là explique ma rage de réussir » , murmure la timide brunette.
Lentement, autour d’une tasse de thé, les terribles souvenirs remontent à la surface. D’abord la première tentative, ratée, de quitter la Roumanie : « Entassés dans un camion, nous avons vécu un enfer indescriptible, dans les odeurs d’urine, de sueur, de vomi… »
La famille finit par aboutir en Italie, Casilino, glauque banlieue de Rome. Elle y restera un semestre, loin du Colisée : « La pire période de mon existence, entre l’insalubrité et le total mépris des gens… Là-bas, nous étions assimilés à de la vermine. »
Après le tunnel du Fréjus, la Terre promise
Papa vend des journaux à la sauvette, pas assez pour juguler la misère. En désespoir de cause, un jour, maman s’assied sur le trottoir et réclame l’aumône. Anina l’accompagne, elle a sept ans : « La honte d’avoir dû mendier, le mépris dans le regard des gens, c’est une blessure qui ne se referme pas. »
Le pays de Voltaire, plus que jamais, représente la Terre promise. Direction la Savoie, à bord d’une Polo brinquebalante, vers le tunnel du Fréjus. La petite Tzigane y parvient enfin, le 18 décembre 1997.
En pleine montagne, la neige s’infiltre par les trous de ses pauvres chaussures de toile. Qu’importe : « L’air pur, vivifiant, m’a lavé l’esprit, évacuant la puanteur qui s’était incrustée en moi depuis six mois. »
Autre bouffée d’oxygène, ensuite, la prise en charge par des services sociaux à Lyon : « Pour la première fois, nous étions considérés comme des êtres humains. »
Ils fêteront Noël à Valence, dans une caserne aménagée, en compagnie d’une vingtaine de Roms. Un endroit propre, avec l’eau, l’électricité « et une douche, quel bonheur ! »
Les temps heureux ne durent guère, en Drôme comme ailleurs. L’hébergement temporaire se termine, la demande d’asile se trouve rejetée. Retour à la case départ, ou presque.
À Bourg-en-Bresse, en 1999, la famille habite dans un fourgon. Et pour manger ? Avec sa mère et sa sœur cadette, Anina se remet à faire la manche sur la place du Marché. Mais, divine surprise, c’est à elles bientôt qu’on va tendre la main.
Émues par leur sort, quelques personnes de bonne volonté se manifestent. Et des choses se débloquent soudain : le permis de séjour, une place en HLM, un emploi pour le père dans les espaces verts.
Une longue course vers l’excellence
Surtout, grâce à « Madame Jacqueline », Anina apprend à lire, intègre le collège, puis le lycée. Elle y fera des étincelles, jusqu’à récolter le surnom d’« intello », source de nouveaux quolibets.
D’une discrimination l’autre, l’enfant de Craiova encaisse : « Beaucoup d’élèves me rejetaient, tant pis ! Pour moi, il était plus important de réussir que d’avoir des amis… »
Elle réussira, du bac avec mention à la licence de Droit, puis l’entrée en Sorbonne. L’école républicaine ne connaît pas de défenseur plus ardent : « Je voudrais persuader tous les jeunes Roms que les études offrent une vraie chance… » Et aussi briser le cliché qui réduit son peuple à des voleurs de poules… La Parisienne d’adoption, « un pied dans les deux mondes » , ne renie pas sa culture d’origine. Quitte à passer pour vieux jeu, refusant par exemple de batifoler avant le mariage : « Chez nous, c’est comme ça. »
Ses nuits sont plus longues que nos jours, elle les occupe à étudier. Et trouve l’énergie, en marge du lourd travail universitaire, de publier un livre témoignage (1 ). Elle a, sur le destin, une revanche à prendre. Rien ne l’arrêtera dans sa course vers l’excellence. Au nom de tous les siens, Anina mène le combat. Les injustices subies hier nourrissent son ambition d’aujourd’hui : « Devenir magistrate. » Après le master, se profile donc un concours difficile.
Elle a déjà franchi tant d’obstacles, qui pourrait l’empêcher de franchir celui-là ? À part l’administration, qui lui refuse toujours la nationalité française, on ne voit pas.
(1 ) « Je suis Tzigane et je le reste », par Anina, avec Frédéric Veille. Éditions City.
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