"Jean-Luc Pujo : L’éveilleur pyrénéen" par Jean-Marc DESANTI
Le 3 septembre 2008,
J’ai connu Jean-Luc Pujo, il y a une quinzaine d’années. Nous faisions partie de ces humbles fonctionnaires qui de Cycles Préparatoires en Instituts continuent à se forger un savoir qu’ils pensent être destiné au service de la collectivité.
Jean-Luc tranchait sur nous autres, misérables vieux potaches, par son sérieux, sa gravité, son paravent de solitude.
Là où nos camarades d’étude se disposaient déjà à mimer les tics, les gestes et le langage hermétiquement abscons des futurs hauts fonctionnaires qu’ils se rêvaient devenir, Jean-Luc arpentait les salles, les couloirs et les allées de sa démarche régulière, lourde et puissante que Simenon aurait qualifié d’allure d’honnête homme. Seul le clignotement incessant de ses paupières et la mobilité extrême des yeux laissaient deviner un esprit sans cesse en mouvement, un goût de l’observation et de la curiosité aussi scientifique que l’entomologiste Monsieur Fabre. Le bonhomme m’intriguait comme un bol d’air dans la fournaise d’un volcan.
Très vite, sa soif de connaissances, son obstination inébranlable dans l’effort captiva mon attention. Nous étions, en apparence, l’illustration parfaite des contraires : lorsque je risquais « Un coup de génie et ça suffit ! », il marmonnait : « Se remettre à l’ouvrage jusqu’à l’épuisement. » Lorsque je noyais mes interlocuteurs sous un flot de provocations politiques, déclenchant maintes menaces d’exclusion du groupe et tant de rêves secrets que je finisse au bagne, il était le seul à dire avec son accent inimitable : « Laisse ces pitres, arrête de déconner. Viens on va parler sérieusement. »
Et depuis, nous nous parlons, nous nous emportons, nous nous engueulons, nous nous insultons et nous nous faisons la gueule.
Bref, nous sommes amis, sans doute est-il pour moi l’un des plus précieux.
Aussi, à la parution de son livre les chemins de terre, je suis resté plusieurs jours, sans l’ouvrir, à regarder l’ouvrage posé sur mon bureau. Certes, il m’avait parlé de ce projet il y a quelques temps et l’idée m’avait enthousiasmé. Mais là, preuve indéniable, il avait osé… Enfin, il avait osé et il savait jusqu’où la devise des Parachutistes « Qui ose gagne » avait pu me conduire.
L’écriture du visionnaire comme l’engagement militaire peut aller jusqu’au sacrifice. Je craignais pour la vie de mon ami car j’étais certain de trouver au fil des pages le message de l’éveilleur, puisé au plus profond des racines de la terre, ce message dont les médiocres et les jocrisses qui nous gouvernent, refusent l’écoute et réservent à leurs porteurs un sort souvent peu enviable…
Avec précaution, j’ai ouvert la première page puis, sans interruption aucune, j’ai lu jusqu’à la conclusion : « … et je compris soudain le signe heureux des dieux… il était d’espérance… La France -un jour- pareil ! »
J’ai vu se dérouler le film douloureux et tendre de la patrie charnelle. J’ai pu ressentir combien pour Jean-Luc, le terrien, « la forêt était son poumon », combien il avait besoin des orties et des ronces pour mêler Valmy à Jérusalem, Charlemagne à De Gaulle, le druide et la fleur de gui à Durandal…
J’ai mesuré l’émotion éprouvée en évoquant « le panthéisme patriotique » d’Hélène, l’institutrice de la boue, du froid et des saisons des contrées austères. J’ai dégusté la mémoire oubliée dans ces quelques lignes : « J’observais ce monde qui me devenait familier avec un intérêt presque anormal : insectes, animaux sauvages… Je guettais cette vie comme le prolongement de la mienne. Je pouvais rester perché sur un arbre – au sommet de la colline – dominant le village, durant des heures. »
J’ai retrouvé l’héritage Heideggérien : « Les chemins de terre ont de bien singuliers destins. Certains s’égarent vite dans les bois ou les hautes futaies… Le promeneur distrait glissera vers la pente facile, pour s’étonner penaud d’avoir été perdu. »
Jean-Luc nous rappelle que la nature n’est pas une chose posée seulement vouée à la contemplation. C’est dans la mesure où l’on aime la terre que l’on aime la Terre. Comme Maître Martin il couple « les chemins qui ne mènent nulle part » et « l’acheminement vers la parole » : « accepte de cheminer sur les sentiers passionnants de la pensée humaine ».
Il faut se perdre, s’isoler hors des sentiers battus, se couper des apparences, des mondes factices,des spiritualités enivrantes pour se retrouver penseur en quête d’une réalité toujours dissimulée. Il faut fouiller, fureter, aller voir derrière, redécouvrir le sens sacré du savoir au hasard « d’une carte de géologie ou d’Histoire de la France de Vidal ».
Je m’aperçois en écrivant que je vous parle d’une vertigineuse méditation poétique car si ce grand petit livre est une invitation à la philosophie politique, notamment à l’humanisme, l’ontologie ou l’aliénation, il nous transmet la fraîcheur de Pagnol et la profondeur d’Hölderlin. C’est la sa force surprenante et, je le crois, la source de sa durée.
Il est des amis qui vous guident et vous inspirent comme il est des livres qui deviennent vos amis. Je fus triste longtemps ne n’avoir connu Jérusalem qu’après la mort du Maître Yeshayaou Leibowitz qui disait : « La valeur ce n’est pas ce qui est atteint mais ce que l’Homme fait pour l’atteindre. » C’est l’effort vers qui compte plus que le but. Suivez, dans l’effort les chemins de terre et vous approcherez ne serait-ce qu’un peu la prodigieuse idée métaphysique d’une possible vérité : « Il faut que tout change pour que rien ne change ! »
Jean-Marc DESANTI
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Source : http://leschevaliersnoirs.hautetfort.com/archive/2008/09/03/jean-luc-pujo-l-eveilleur-pyreneen.html
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