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« De l’Europe : pour une ouverture à l’humanité » par Jean-Luc PUJO (président de l'APRA-CRR) - Juin 2006

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« De l’Europe : pour une ouverture à l’humanité » par Jean-Luc PUJO

16 juin 2005

La journée internationale du Réfugié - instaurée le 4 décembre 2000 par une résolution de l’assemblée générale des Nations unies – a pour but de rappeler le rôle exceptionnel du HCR dans la promotion des valeurs des Nations Unies précise la résolution N°55176.

Pour le secrétaire Général des Nations Unies, cette célébration doit permettre de prendre conscience « qu’un jour, n’importe lequel d’entre nous peut être contraint de frapper à la porte d’un autre pour demander secours ». Ruud Lubbers, ancien haut commissaire aux réfugiés rappelle quant à lui que « les réfugiés ne sont pas seulement les bénéficiaires de l’aide humanitaire. Ils sont également des contributeurs potentiels aux développements de leur pays d’accueil comme de leur pays d’origine une fois rentrés chez eux. »

En 2005, la journée internationale a été placée sous le signe du courage, parce qu’« il est urgent de célébrer le courage extraordinaire et la contribution apportés par les réfugiés par le passé comme dans le présent » justifie Koffi ANNAN. Ces déclarations sont à saluer. Cependant, elles ne peuvent qu’étonner tant elles jurent avec l’esprit qui prévaut aujourd’hui en Europe.

Pourquoi l’Europe a-t-elle optée pour une autre vision, celle du réfugié immigré envahisseur ?

Depuis le sommet de Tempere de 1999 puis le sommet de Thessalonique de 2003, l’Europe a en effet décidé la mise en oeuvre de politiques restrictives en matière d’accueil des réfugiés.

Elle a même entrepris de sous-traiter cet accueil par l’ouverture de camps à ses frontières dans des pays limitrophes, suscitant un véritable tollé chez la plupart des acteurs de l’asile en France comme en Europe.

Comment en effet confier à des États tel que la Libye l’application de principes fondamentaux placés au coeur de nos démocraties ? Le péril est-il si immense qu’il faille de telle mesure hier encore impensable ?

Un premier constat s’impose : la demande d’asile a diminué significativement depuis l’année 2000 pour ramener le niveau des arrivées au plus bas depuis seize ans. Les pays industrialisés ont enregistré une baisse de 40 % de la demande d’asile entre 2000 et 2004.

L’Europe des quinze a ainsi connu une baisse de la demande de près de 38% depuis 2000 : - 33% pour le Royaume Unis, - 30% pour l’Allemagne, - 27% pour les pays bas, - 26% pour l’Italie et la Suède. Seule la France a enregistré une hausse de la demande passant de 59.800 à 61.000 demandes (+3%) en 2004.Ces fluctuations ne peuvent qu’étonner. Comment les expliquer ?

La baisse de la demande trouve bien sûr pour partie son explication dans la fermeture des frontières. Mais les hausses passées ou à venir ?

Pour Catherine Wihtol de Wenden, un constat s’impose : « En l’absence de politique d’immigration, l’asile est devenu le seul moyen d’entrer légalement et sans papiers en Europe »(1). Pouvons-nous nous satisfaire d’une telle politique ?

Est-elle à la hauteur des enjeux qui nous attendent ?

De toute évidence, la révolution démographique que nous connaissons appelle des réponses autrement plus importantes.

« Nous sommes au début d’une onde historique dont nul ne peut prévoir les transformations qu’elle engendrera. Depuis 1980, plus de 50% de l’augmentation des jeunes sur la planète a lieu en Afrique. A contrario, 77% de l’augmentation de la population âgée se produit dans les pays développés » note Sami Naïr (2).

« Un peuple nomade s’est formé, destiné à émigrer dans les zones de prospérité planétaire » annonce Philippe Bernard (3).

Selon l’ONU, il y avait en 1965 près de 75 millions de migrants. Ils sont aujourd’hui plus de 150 millions (4).

Avons-nous pris la juste mesure de ce défi qui nous est lancé ? Autrement dit : « L’Europe peut-elle continuer à se construire en espace de prospérité à l’ombre d’un Sud plongé dans l’anarchie et la misère ? » pour reprendre l’interrogation fulgurante de Sami Naïr.

En vérité, l’Europe semble prise à son propre piège.

Non seulement, nous avons refusé la mise en oeuvre de véritable politique d’immigration mais nous avons refusé de penser une véritable politique du développement. Voilà le double défi que nous avons à relever. Concernant l’immigration, il faut tout d’abord reconnaître son rôle essentiel. En 2004, elle a permis un transfert de fond vers les pays d’origine de près de 126 milliards de Dollars. Ces transferts ont représenté plus de 50% des montants de l’aide publique au développement en 2000 pour atteindre aujourd’hui près du double (5) !

Il nous faut ensuite mieux l’organiser. Il s’agirait tout à la fois de maintenir une politique de contrôle pour organiser les flux mais également de favoriser la mobilité en privilégiant l’immigration temporaire, favorable aux allers-retours des immigrants entre leur pays et le pays d’accueil. Concernant le développement, il nous faut d’urgence travailler à élaborer de véritables réponses.

La mise en oeuvre récente de groupe de travail sur le co-développement comme celui emmené par Monsieur l’Ambassadeur Christian Conan rassemblant les huit pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) est une bonne piste.

De la même façon, la récente décision du G7 d’annuler 100% de la dette des Pays pauvres très endettés ne peut qu’être saluée. Elle reste toutefois insuffisantes pour la plupart des pays africains souligne le président Sud Africain, M. Thabo Mbeki.

Il nous faut donc opérer un véritable changement de politique d’aide au développement. C'est-à-dire multiplier notre effort.

La France semble pour cela plutôt bien disposée. Avec 0,42 % de son PIB consacré à l’aide publique au développement - contre 0,16% pour les États-Unis - la France reste, en la matière, en tête des pays du G7. De toute évidence, nous le voyons, le choix de l’Europe de fermer toutes ses frontières apparaît doublement décalé. Il est illusoire. Il reste inopérant. Illusoire car il est à l’évidence, impossible de juguler des flux migratoires important.

Toutes les « lignes Maginot » de l’histoire ont été contournées. Inopérant, car le monde globalisé dans lequel nous vivons appelle un traitement global du problème.

Pourquoi refusons-nous de reconnaître que la plupart des pays du Sud présente un tableau politique et social complexe : pas de démocratie, pas d’État de droit, pas de travail, pas d’espérance sociale ? Pourquoi refusons-nous d’admettre qu’à leur place nous adopterions la même stratégie : fuir ?

Nous ne pouvons ignorer plus longtemps encore notre coresponsabilité dans cette situation que le sociologue Alain Supiot dénonce d’un trait : « Les pays occidentaux se gardent d’épiloguer sur les raisons de la fuite des « sans papiers » vers le Nord car cela les obligerait à regarder en face les effets dévastateurs des régimes de changes qu’ils imposent au monde. »

Cette responsabilité nous conduit inévitablement à une réflexion sur la démocratie universelle. Pour Derrida, « elle est au-delà de toute structure étatique, de tout cosmopolitisme et de toute citoyenneté mondiale. (..) Elle est une espérance non tenue de l’Europe des Lumières : celle de l’émancipation ! »(6).

Ainsi fait-il écho à la pensée toujours moderne de Bergson : « Ce n’est pas en élargissant la cité qu’on arrive à l’humanité : entre une morale sociale et une morale humaine, la différence n’est pas de degré mais de nature. (7)» Voilà le défi qui nous est lancé : celui de l’ouverture à l’humanité.

Pour Bergson, elle passe par une émotion, le sentiment de fraternité.

L’Europe y est-elle enfin disposée ?

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Notes :

1. Entretien avec Catherine Wihtol de Wenden, directeur de recherche CNRS/CERI sur les migrations internationales Le Monde – 5 et 6 juin 2005 ;

2. « L’Empire face à la diversité » Sami Naïr – Hachette Littérature – septembre 2003 ;

3. Philippe BERNARD – « Immigration, le défi mondial » Folio Actuel 2002 ;

4. OIM – « état de la migration dans le monde en 2000 » ONU ;

5. Banque Mondiale – Rapport sur le développement dans le Monde – 2000 et suivant ;

6. « Une pensée Hospitalière – Derrida et l’éthique » de Hent de Vries – revue EUROPE – mai 2004 ;

7. « Les deux sources de la morales et de la religion » Henri BERGSON, Paris, PUF coll. « quadrige », 2003 p.86.

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