Osons le dire

"Qui se soucie de l’intérêt général ?" Pierre Mazeaud (Canal Académie - Audio)

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Pierre Mazeaud : Qui se soucie de l’intérêt général ?

Une communication à l’Académie des sciences morales et politiques

L’intérêt général, notion familière si difficile à définir, Pierre Mazeaud veut la cerner au plus près dans cette communication à l’Académie des sciences morales et politiques donnée le lundi 7 février 2011. Il relate comment, tout jeune et au cours de sa carrière, tant à l’Assemblée nationale qu’au Conseil d’Etat, cette notion n’a pas quitté ses préoccupations. Il montre qu’il est à craindre qu’un parlement affaibli, soumis aux groupes de pression, ne se soucie plus de l’intérêt général... Il faut toujours en revenir, dit-il, au courage et au désintéressement.

Pierre Mazeaud, élu à l’Académie des sciences morales et politiques en décembre 2005 au fauteuil précédemment occupé par Alice Saunier-Seité, a occupé de hautes fonctions au service de la République, notamment président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale (durant 7 ans), puis membre et président du Conseil constitutionnel (en 2004). Il examine donc l’intérêt général au regard de ces deux instantes : le Parlement et le Conseil Constitutionnel.

"L’intérêt général fait partie de ces notions dont on est familier mais qui, curieusement, résistent à la définition, ou en tout cas, s’y prêtent difficilement. C’est sans doute la rançon de la richesse de son contenu mais aussi d’une incontestable faculté d’adaptation. Le doyen Vedel jugeait l’intérêt général « indéfinissable en ce sens que, selon les temps, les lieux et les opinions, elle (la notion) reçoit des contenus fort variables. » Mais la vitalité de la notion ne tiendrait-elle pas précisément à la difficulté dans laquelle on est de pouvoir en donner une définition satisfaisante, d’autant qu’elle se réfère davantage à des objectifs qu’elle n’est fondée sur des certitudes ?

Pourtant, cet intérêt général n’a cessé de faire partie de mes fréquentations. J’ai fait très tôt sa connaissance dans ma famille, dont il constituait en quelque sorte l’une des règles de vie. J’ai appris à mieux le connaître en m’attachant à servir deux hommes d’exception dont il conditionnait l’action. Je me suis efforcé de le faire prévaloir aussi souvent que je l’ai pu mais, je le reconnais, avec des résultats variables, dans mon action publique, et j’en avais d’ailleurs fait le thème central du discours que j’ai prononcé à l’Elysée au seuil de l’année 2006 en qualité de Président du Conseil constitutionnel. Cet intérêt général, il est en tout cas au cœur de l’histoire de notre pays. Qu’il se dénomme « bien commun », « intérêt commun », « intérêt de la Couronne », « intérêt public », « intérêt national », « intérêt de l’Etat », il a le plus souvent servi d’objectif aux actions qui ont assuré sa grandeur, et c’est assurément parce que l’intérêt royal s’est largement confondu avec l’intérêt général, incarné par quelques grands Rois et quelques grands ministres et servi sans états d’âme -au point de se confondre parfois avec la raison d’Etat- par les légistes à un moment crucial de son histoire, que ce pays a pu surmonter les multiples épreuves qui ont accompagné son édification.

Plusieurs des fonctions qu’il m’a été donné d’exercer m’ont fait approcher au plus près la notion qu’il me revient d’évoquer aujourd’hui devant vous. C’est à partir de deux d’entre elles que je souhaiterais mener cette réflexion, car je ne peux m’empêcher de constater que si le Parlement a avec l’intérêt général une relation privilégiée, le Conseil constitutionnel a été amené, au fil des années, à en faire un usage qu’il me paraît intéressant de tenter d’expliciter. C’est à partir de cette double appartenance, si je puis dire, que s’est développée ma réflexion.

L’intérêt général incarné par le Parlement

Ecoutez la communication de Pierre Mazeaud qui évoque donc tout à la fois l’intérêt général tel qu’il revient au Parlement de le déterminer, car il l’incarne ; la conception du général de Gaulle ; l’étiolement de la démocratie représentative ; l’affaiblissement de l’Etat (où les intérêts catégoriels et bruyants finissent par l’emporter sur l’intérêt général), le cumul des mandats (l’intérêt général risquant alors d’être concurrencé par l’intérêt local), le poids des groupes de pression, le rôle prééminent de l’argent...

Ainsi, rappelle-t-il "l’intérêt général est-il au cœur du système représentatif français tel que l’ont enfanté les hommes de la Révolution et tel qu’il va être mis en œuvre par notre droit public, selon lequel le Parlement, et donc la loi, sont voués à exprimer l’intérêt général. Or, force est de reconnaître que ce rôle du Parlement, chantre de l’intérêt général à travers le vote de la loi, n’est plus ce qu’il était longtemps resté au long d’une histoire pourtant ô combien tourmentée : il est aujourd’hui contesté, amoindri, concurrencé."

L’intérêt général et le Conseil constitutionnel

Pierre Mazeaud offre ensuite une analyse détaillée de cette notion vue par l’ancien président du Conseil constitutionnel qu’il est, revenant sur le rôle du juge constitutionnel, rappelant que seul le législateur peut déterminer l’intérêt général, que nul ne peut se substituer à lui mais qu’il convient que l’intérêt général reste au coeur de son action. Comme le rappelle le rapport que le Conseil d’Etat a consacré en 1999 au sujet, « l’intérêt général est au cœur du droit public, au même titre que l’autonomie des volontés est au fondement du droit privé ». Et si l’intérêt général est au cœur de ce droit « largement prétorien qu’est le droit administratif, c’est que, contrairement d’ailleurs à ce qui existe dans les pays étrangers comparables, il a consacré l’existence d’une relation privilégiée entre l’intérêt général et ces notions-clés du droit public français que sont le service public, le domaine public, l’ouvrage public, le travail public : « elles ne peuvent être définies », constate le même rapport, « que par référence avec la notion première d’intérêt général et trouvent en elle leur raison d’être ». Ainsi le juge administratif a-t-il été amené à faire un large usage de l’intérêt général, soit lorsque la loi pose elle-même une condition d’intérêt général, et il lui revient alors d’en vérifier la bonne application, soit parce qu’il trouve là, comme le dit le professeur Truchet dans le rapport du Conseil d’Etat, « une source commode pour (re)trouver l’équilibre de ses pouvoirs d’appréciation et ceux de l’administration », sans pour autant se faire le juge de la loi.

Courage et désintéressement...

Et pour Pierre Mazeaud, force est de constater la nécessité de réorienter l’action publique. "Pour être exemplaire, celle-ci doit être rapportée sans cesse à l’intérêt général ; plus qu’en tout autre temps, cette exigence demande à ceux qui en sont comptables un grand courage, une grande obstination, un grand désintéressement. Confessons nos propres défaillances, mobilisons-nous pour les surmonter et croyons que l’intérêt général connaîtra cette résurgence qui, seule, peut nourrir l’optimisme dans l’avenir d’un monde dont certaines aspérités sont devenues si désespérantes... Mais s’il nous appartient de surmonter nos propres défaillances, rappelons que c’est bien au législateur, sous la vigilance du Conseil constitutionnel, de respecter le mandat qu’il détient du peuple : n’agir au travers des lois qu’en fonction du seul intérêt général".


ECOUTER l'EMISSION :

http://www.canalacademie.com/ida6664-Pierre-Mazeaud-Qui-se-soucie-de-l.html

Mot clés : interet general - mazeaud

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