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« Les relations turco-américaine » - SUITE -

Le Premier ministre turc a été jusqu’à qualifier Israël, je cite, de « principale menace pour la paix régionale », lors d’une visite officielle à Paris où il a réitéré sa conviction que le nucléaire iranien avait un objectif « uniquement civil », en s’éton­nant qu’Israël n’adhère pas pour sa part au TNP. Et il se demande pourquoi « ceux qui n’ont pas signé le TNP sont dans une position privilégiée », eu égard aux règles de sécurité qui doivent prévaloir au Moyen-Orient.

À bien des égards, 2009 aura été pour la politique étrangère turque une année d’anthologie. Certes, les développements majeurs de ces deux dernières années ont été largement préparés par des mutations observables depuis un certain temps, en particulier depuis 2007. Mais c’est avec 2009 que la nouvelle politique étrangère turque a pris un visage et une voix.

De ce point de vue, l’accord commun irano-turco-brésilien au sujet de la propo­sition d’échanger l’uranium enrichi iranien en territoire turc constitue un tournant non négligeable dans les relations internationales.

En effet, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, deux nations émergentes du Sud se distinguent de manière spectaculaire sur la scène internatio­nale en prenant franchement leurs distances à l’égard des grandes puissances sur un dossier particulièrement difficile et sensible à la fois, ayant pour théâtre le Moyen-Orient, région de turbulences par excellence.

Pour bien mesurer l’importance de ce tournant diplomatique, il ne faut pas seulement considérer le résultat à court terme. Les enjeux stratégiques et diploma­tiques à moyen terme sont autrement plus significatifs, surtout si on les rapporte aux tendances profondes qui travaillent l’ensemble de la région et contribuent ainsi à restructurer son espace géopolitique de manière contradictoire et instable. Cet accord est un tournant diplomatique, puisque le fait que la Turquie et le Brésil se soient avancés sur un terrain glissant, en se portant garants d’une possible solution diplomatique négociée à un problème aussi épineux, constitue en soi un événement diplomatique d’une grande portée. D’une part, il permet à l’Iran d’enregistrer une relative victoire diplomatique même si celle-ci risque malheureusement d’être anni­hilée par l’intransigeance américaine et européenne.

En effet, en mobilisant à ses côtés deux grandes nations du Sud qui passent pour être amies des USA (la Turquie est membre de l’OTAN et entretient des relations privilégiées avec Israël, le Brésil est quant à lui engagé dans un vaste programme d’intégration industrielle et militaire avec son grand voisin du Nord), l’Iran a su montrer qu’il n’était pas si isolé sur la scène internationale et que son intransigeance apparente sur ce dossier ne faisait que refléter l’aspiration légitime et commune à toutes les nations du Sud à un développement de capacités technologiques et nu­cléaires à des fins civiles.

D’autre part, cet événement permet de mettre en exergue les nouvelles orien­tations des puissances régionales émergentes du Sud. Contrairement à une lecture superficielle, la scène internationale est d’une telle complexité qu’elle permet désor­mais une certaine marge de manoeuvre à des acteurs moyens qui ne sont pas obligés d’adopter une ligne de rupture radicale à l’égard de la superpuissance américaine pour affirmer leurs intérêts propres. Mieux, c’est parce qu’elles entretiennent une relation de coopération privilégiée avec les USA et avec les États dissidents comme l’Iran que ces puissances moyennes ont plus de chances de réussir une médiation diplomatique qui serve leurs intérêts commerciaux et stratégiques, et consolide leur nouveau statut international.

L’accord tripartite irano-turco-brésilien ne doit pas être lu de manière unilaté­rale. Ces deux pays ont en effet énormément à gagner sur les plans stratégique et commercial dans une région vitale pour le système mondial. Ce n’est pas un ha­sard si l’intervention diplomatique inattendue de la Turquie et du Brésil a d’abord importuné les puissances en perte de vitesse sur ce dossier, comme la France et l’Allemagne. Les Américains, de leur côté, sont bien conscients que le monde uni­polaire auquel a rêvé l’Amérique s’est brisé à l’épreuve des réalités géopolitiques et qu’il est bien derrière nous. S’il y avait un quelconque doute à ce sujet, le bourbier dans lequel se trouvent les Américains en Irak et en Afghanistan a fini par le dissi­per. Les États-Unis sont bien conscients qu’il faudrait composer avec les moyennes puissances régionales émergentes, comme l’Inde, la Turquie ou encore le Brésil, qui revendiquent une plus grande place dans le concert des nations.

(*) Mohammed Fadhel TROUDI est Docteur en droit, chercheur en relations internationales et stratégiques, spécialiste en géopolitique du monde arabe et musulman, Paris

 Notes

(1) Barthélemy Courmont est présenté comme l’un des meilleurs spécialistes des États-Unis, lire son ouvrage, Les États-Unis, les défis d’Obama : vers un nouveau leadership américain ? Paris, Le Félin, collection « Échéances », 2009, 154 p.

(2) Édité en janvier 2001, par le Washington Institute for Near East Policy, le rapport du Groupe présidentiel d’études, intitulé Navigating Through Turbulence, America and the Middle East in a New Century, analyse la politique américaine au Proche-Orient en lui fixant cinq objectifs prin­cipaux : empêcher une guerre régionale sur le différend israélo-arabe et israélo-palestinien ; lutter contre les armes de destruction massive ; renforcer la lutte contre le terrorisme ; provoquer un changement en Irak et en Iran ; renforcer les relations avec les pays de la région. Pour chacun de ses objectifs, le rapport met en avant les buts à atteindre et les moyens pour y parvenir.

(3) Journal égyptien en langue française, diffusé chaque mercredi. Conçu par des journalistes égyptiens francophones, il permet au lecteur de connaître le point de vue égyptien de l’actualité arabe, africaine et internationale. Il est, par sa dépendance vis-à-vis du journal quotidien Al-Ahram (Pyramides), un journal gouvernemental. Néanmoins, l’utilisation de la langue française lui donne une plus grande liberté d’expression, ce pourquoi il fait souvent l’objet de critiques de la part d’organisations professionnelles, notamment de défense des droits de l’homme, pour ses articles considérés parfois comme racistes, voire antisémites.

(4) Secrétaire d’État à la défense du Royaume-Uni entre 1997 et 1999, sous le gouvernement de Tony Blair. En août 1999, il a été choisi pour devenir le dixième secrétaire général de l’OTAN, succédant à Javier Solana. Il a occupé ce poste de 1999 à 2004.

(5) Iskudaroun ou Iskenderun (ancienne ville syrienne devenue turque, comme la ville d’Antakya à la frontière turco-syrienne, rattachée à la Turquie par référendum en 1918). Tous les habitants de cette ville parlent aussi bien le turc que l’arabe, elle est connue par sa grande diversité ethnico-religieuse, car y cohabitent avec une certaine intelligence des Grecs, des Arméniens, des chrétiens et des musulmans.

(6) Ariel Cohen : docteur de l’école Fletcher de droit et de diplomatie à l’université Tufts dans le Massachusetts, chercheur au département des études russes et eurasiennes de la prestigieuse Héritage Fondation, le fameux think tank créé en 1973 et financé par l’industrie de la défense. Spécialiste de la Russie et de la région du Caucase, il est connu pour ses positions très conserva­trices, notamment en ce qui concerne le Moyen-Orient.

(7) Le professeur Jean Marcou est directeur de l’Observatoire de la vie politique turque (OVIPOT) à Istanbul, rattaché à l’Institut français d’études anatoliennes ; il est également juriste, professeur de droit public à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

SOURCE : http://www.strategicsinternational.com/29_12.pdf

[Merci à M. TROUDI]

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