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« MAURICE : Orientations à la réforme constitutionnelle » par le Dr Parvèz DOOKHY (*)

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Article publié dans Le Mauricien du 17 juin 2010

Le nouveau Gouvernement a renouvelé sa volonté d’ouvrir un chantier de réforme constitutionnelle et de surcroît électorale. Plus de quarante ans après notre accession à l’Indépendance, il y a peut-être lieu de raffermir notre Constitution en lui donnant davantage de consistance. Nous avons en effet hérité d’une Constitution reflétant un certain équilibre du modèle de Westminster tout en étant bien embryonnaire dans ses articulations.

Un certain nombre de préalables sont nécessaires à la réalisation d’une révision constitutionnelle susceptible de susciter une grande adhésion du peuple et de ses représentants. L’équilibre institutionnel doit être préservé tout en renforçant l’acquis démocratique et le caractère de l’Etat de droit. Il est impératif de faire consacrer des avancées constitutionnelles avec une grande prudence et délicatesse. La réforme, notamment en ce qui concerne son volet électoral, doit être adoptée avant la mi-mandat du gouvernement de manière à ce qu’elle n’apparaît pas comme un changement du jeu politique à l’approche des élections, ce qui est toujours suspicieux.

L’élection indirecte du Président

Nous avons à Maurice, un système politique dit « parlementaire » inspiré du modèle de Westminster. Ce système, souvent opposé au régime présidentiel, est caractérisé par un rapport équilibré et mutuel entre le Parlement et le Gouvernement. Ce dernier est issu des rangs des députés majoritaires et est collectivement responsable devant l’Assemblée. Le Chef de l’Etat, quant à lui, ne conserve qu’une fonction arbitrale en cas de crise et, pour le reste, protocolaire. Est-il temps de changer de régime, comme cela a été évoqué durant la dernière campagne?

Il a été question de faire évoluer notre régime vers un système présidentialiste, ou semi-présidentiel, à la française. Le terme de régime présidentiel a été utilisé à tort, car il correspond plus au modèle institutionnel américain. Pour la présidentialisation de notre régime, il suffirait de procéder à trois changements : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct (le peuple vote et choisit le Président), faire du Chef de l’Etat le président du conseil des ministres (cabinet meeting) et de lui accorder un droit autonome de dissolution de l’Assemblée Nationale. Fort de sa légitimité démocratique, le Président aurait un rôle accru dans la définition de la politique de la nation et celle-ci serait conduite et mise en application seulement par le Premier ministre et son gouvernement. Le Premier ministre, qui est maintenu, serait alors tout à la fois responsable, juridiquement devant le Parlement, et, politiquement devant le Chef de l’Etat.

Il est fort probable que Paul Bérenger ait été tenté par cette formule. Il a peut-être dû penser que c’était un moyen plus aisé pour lui d’accéder de nouveau à la primature. Il se peut que Navin Ramgoolam y soit favorable également. Ce serait alors éventuellement une technique pour lui de se maintenir aux responsabilités après trois mandats et dont deux consécutifs.

Ce bicéphalisme, qui peut paraître attrayant, parce qu’il permet au Président de jouer un plus grand rôle, et en particulier sur la scène internationale, risque de bouleverser l’équilibre institutionnel nécessaire à la mise en place d’une politique gouvernementale sur le long terme. Avec le multipartisme tel que nous la connaissons, l’on pourrait aisément aboutir à une paralysie des institutions si le Président et le Premier ministre ne sont pas du même bord politique ou sont en concurrence. Pays émergeant, Maurice ne peut se permettre le luxe d’une cohabitation conflictuelle à la tête de l’Etat. Il y aurait un risque que les deux légitimités, Président et Premier ministre, s’affrontent. Les deux auraient une légitimité populaire.

Néanmoins, l’on pourrait accorder un véritable statut intermédiaire au Chef de l’Etat. Actuellement le Président n’est que le successeur du Gouverneur-général. Il est choisi, en toute discrétion, par le Premier ministre seul et ce choix est ratifié par l’Assemblée Nationale. Nul ne peut faire acte de candidature à cette fonction. Il faudrait qu’il y ait une vraie élection, que des personnalités puissent faire acte de candidature librement. Dans une République moderne, le Président doit être élu pour une raison tout simplement démocratique et pour lui conférer l’autorité de sa fonction. Dans notre cas, il pourrait l’être par un suffrage universel indirect, c'est-à-dire par un collège composé de députés (éventuellement de sénateurs si ces fonctions sont créées), de chefs des administrations locales (maires, présidents des districts et assemblée de Rodrigues) pour éviter un conflit de légitimité entre lui et le Premier ministre. Il faut un véritable suffrage et des candidats potentiels qui s’affrontent.

Une élection du Président au suffrage indirect impliquerait de manière corolaire une réforme du Parlement.

Le Parlement bicaméral

Nous disposons d’un Parlement monocaméral, d’une seule chambre. Dans le système de Westminster et comme dans les grands pays, le Parlement se compose de deux chambres. Une première, la chambre dite basse, représente la voix du peuple et la deuxième, la chambre haute, représente, selon les cas, soit des collectivités soit la sagesse de l’homme politique mûri. La création d’un Sénat, deuxième chambre parlementaire, est un thème récurrent des campagnes électorales depuis 1995.

Instauration d’un Sénat

L'intérêt d’un Sénat est multiple. Il est toujours utile de faire usage de l'expérience des femmes et hommes politiques qui ont dirigé le pays. En général, la deuxième chambre comporte en son sein des personnalités expérimentées qui pourraient tempérer des changements hasardeux et donner un meilleur éclairage à l’orientation politique. Aussi, la deuxième chambre reflèterait-elle un rapport de force différent dans le pays, ce qui pourrait modérer toute victoire écrasante d'un bloc sur un autre si son renouvellement a lieu à une période différente. Elle permettrait de consolider la démocratie. S’agissant de la désignation des sénateurs, la nomination, proposée par Paul Bérenger, est à écarter d’emblée car elle est contraire au principe démocratique. A l'image de ce qui existe ailleurs dans le monde, le mode de scrutin pourrait être différent de celui en vigueur pour l’élection des députés. Il pourrait, lui, être proportionnel même intégralement. Car, la deuxième chambre devrait avoir des pouvoirs légèrement inférieurs à celui de l'Assemblée Nationale. En particulier, le gouvernement ne serait pas responsable devant elle et en cas de désaccord entre l’Assemblée Nationale et la deuxième chambre sur l’adoption d’un texte de loi, le Premier ministre pourrait demander à l’Assemblée d’adopter de manière définitive le texte. L’on pourrait alors permettre, sans risque pour la stabilité gouvernementale, une représentation de tous les courants de la société et une élection des sénateurs à la proportionnelle atténuerait les effets écrasants du système majoritaire à un tour (first past the post) pratiqué pour l’élection des députés. Le nombre de sénateurs pourrait être limité à une quarantaine. L’on pourrait également permettre à ce qu’un nombre limité de ministres soient issus de leur rang.

Un Sénat élu à la proportionnelle mettrait fin au débat sur l’introduction d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée Nationale. La stabilité politique à la chambre des députés est nécessaire pour un pays émergeant. Or, la proportionnelle à l’Assemblée est malheureusement réputée pour être un facteur du fractionnisme. Elle y permettrait l’émergence de trop de petits partis. Déjà nous avons sept partis représentés à l’Assemblée. Au sein de la majorité, si elle est faible, les petits partis pourraient faire du chantage au gouvernement, leur soutien étant conditionné à l’application essentiellement d’une revendication. Au Sénat, la proportionnelle n’aurait un tel effet néfaste eu égard aux pouvoirs qui seraient conférés aux sénateurs.

Renforcer l’Assemblée Nationale

Néanmoins, le nombre de députés à l’Assemblée doit être augmenté. Une soixantaine d'élus n'est pas suffisante pour diriger un pays. Grands ou petits, les pays ont en général une trentaine de membres du gouvernement (ministres et secrétaires parlementaires privés). A Maurice, tous les membres du gouvernement, sauf l'Attorney-Général, sont des élus, ce qui fait que presque la moitié des députés compose le gouvernement. Il ne reste que l'autre moitié (opposition/majorité confondues) pour contrôler l'action du gouvernement et faire des propositions. Ce n'est pas suffisant. Il y a lieu d'accroître le nombre de députés. On peut aussi ajouter éventuellement un député par continent pour représenter les mauriciens de l’étranger (ils n’ont pas le droit de vote actuellement). L’on doit passer, pour que l’Assemblée nationale puisse fonctionner à bon escient, à une centaine de députés (4 par circonscription, 5 à 10 de l’étranger, 3 de Rodrigues, 8-10 best-Loser). Dans une assemblée, il faudrait qu’il y ait des commissions permanentes chargées de contrôler l’action du gouvernement sur les grands secteurs. Notre Assemblée est encore trop embryonnaire. L’activité parlementaire ne se réduit pas à la seule opposition au gouvernement.

Le Best Loser

Il reste l’épineuse question du Best Loser System. L'abolition du Best Loser system est tout aussi aventureuse que dangereuse. En théorie, ce système est condamnable. Mais comme l'avait dit le Pr A. De Smith, rédacteur de notre Constitution en 1968, c'est un mal nécessaire. Le Best Loser a permis une coexistence pacifique des communautés. Il serait risquant, si à l'issue d'une consultation démocratique, une communauté n'obtienne pas de représentants suffisants à l’Assemblée nationale. L'histoire récente en Afrique des guerres ethniques, et ailleurs dans le monde, nous enseigne de la nécessité d'avoir un équilibre communautaire au sein de la représentation nationale. Aucune communauté ne doit souffrir d'un manque d'élus nationaux. Le système des meilleurs perdants est bien ancré historiquement. Le Best Loser corrige une éventuelle défaillance. Il n’est en soi pas un facteur d’accentuation du communautarisme. Toutefois, il faudrait permettre à ceux qui souhaitent faire acte de candidature sans vouloir indiquer leur appartenance ethnique de pouvoir le faire, quitte à ce qu’ils soient ensuite inéligibles à l’attribution des sièges de meilleurs perdants. Enfin, de manière à donner au Best Loser System un nouveau souffle, on pourrait imaginer que les sièges meilleurs perdants soient prioritairement attribués aux femmes candidates battues en prenant en considération leur appartenance ethnique.

Telles sont les judicieuses réformes nécessaires à la modernisation de nos institutions politiques. Il va de soi également que notre charte des droits et libertés mérite tout autant une mise à jour. Des droits et libertés des nouvelles générations doivent être énoncés.

Dr Parvèz DOOKHY est Constitutionnaliste – Avocat - membre de la Rédaction de Politique-actu.com

SOURCE : http://lemauricien.com/

Mot clés : politique - Parvèz DOOKHY - Maurice

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