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MANGER en 2013 : quelle agriculture pour manger durablement ? par Bruno Parmentier

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Manger moins de viande, moins de laitages, moins de sucre, moins de sel, et davantage de céréales, de légumineuses, de fruits et de légumes

L’année 2013 ne se présente pas bien en matière d’agriculture et alimentation. En effet, l’été dernier, il a fait très chaud et sec aux Etats-Unis ; une sécheresse historique qui a touché 60 % du pays, et le Mexique. Les récoltes de maïs, de soja et de blé de l’un des plus grands greniers du monde ont été mauvaises. Malheureusement, simultanément, un deuxième grenier du monde a souffert de la sécheresse : la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan, tandis que la mousson s’est fait attendre en Inde, et que les récoltes européennes ont parfois été affaiblies par excès de pluie. Sans parler de l’absence de récoltes, pour la troisième année consécutive, en Afrique de l’Est et des dégâts provoqués par les cyclones tant dans l’Atlantique que dans le Pacifique. Pour couronner le tout, les récoltes de l’hémisphère Sud s’annoncent… quelconques. On manque donc de grain, les spéculateurs entrent en scène, et les cours du maïs, du blé et du soja flambent, tout comme en 2007, année d’émeutes de la faim dans trente-six pays, de Dakar à Mexico en passant par Le Caire, ou en 2010, où le pain et le couscous chers ont été une cause directe des révolutions arabes… Où se situeront les émeutes cette année, car il est fort probable qu’il y en aura, et quelles en seront les conséquences géopolitiques ?

En Europe, pas de famine en vue heureusement, malgré la crise économique qui s’étend. Sachons prendre du recul et faire la part des choses : la vraie crise, c’est quand les banlieusards arrachent leurs rosiers pour planter des pommes de terre, et nous n’en sommes pas (encore ?) là.

À l’heure où l’Union européenne définit sa nouvelle politique agricole pour les prochaines années, on peut réfléchir à l’avenir de notre agriculture et de notre alimentation.

Les céréaliers européens vont globalement plutôt bien, compte tenu des bonnes récoltes de cet été et de la bonne tenue des cours. Du coup, ce sont plutôt les éleveurs qui se portent mal. En effet, la moitié du blé et les trois quart du maïs et du soja récoltés sur terre ne sont pas mangés directement par les humains, mais donnés aux animaux pour être transformés en viande, en œuf ou en lait, et nous rechignons évidemment à voir le prix de ces produits augmenter à chaque fois qu’il y a une pénurie de céréales dans le monde…

Cette situation est-elle durable, particulièrement en ce qui concerne le soja ? Peut-on espérer continuer à manger éternellement et en excès des animaux nourris très largement à partir de la production de champs situés à 15 000 km de l’Europe ? Le soja que mangent les animaux européens recouvre une superficie égale à la superficie agricole de France, tout se passe comme si on avait conservé discrètement une colonie en Amérique latine, colonie aujourd’hui convoitée par les chinois…

Il faudra bien qu’à terme on n’élève en Europe que les seuls animaux qu’on pourra effectivement nourrir avec les végétaux européens, sans manquer de végétaux pour nourrir les humains…

Notre agriculture peut être considérée comme la plus moderne du monde : personne d’autre que les Européens de l’Ouest n’est capable de sortir régulièrement 80 quintaux de blé à l’hectare, même sur des mauvaises terres, 100 quintaux de maïs et 8 000 litres de lait par an d’une vache ! Nous avons ainsi disparaître le spectre des pénuries et a fortiori des famines dans notre pays qui avait connu 11 disettes au XVIIe siècle, 16 au XVIIIe et 10 au XIXe, et des tickets de rationnement jusqu’en 1949, et où le préfet fixait le prix de la baguette de pain à Paris jusqu’en 1986 ! Mais cette modernité fait aussi sa grande fragilité, car elle est la plus dépendante au monde de l’accès à des ressources qui se raréfient, comme le soja du Brésil et de l’Argentine, mais aussi le gaz naturel russe et algérien (pour fabriquer des engrais azotés), le phosphate du Maroc ou la potasse du Canada, le pétrole, etc. Si, à la suite de tensions internationales ou de flambée des prix, ces produits n’arrivaient plus en abondance, notre agriculture serait immédiatement à genoux !

De plus, les opinions publiques sont de plus en plus sensibles aux « externalités négatives » de notre agriculture « tout labour, tout chimique » : on veut bien continuer à manger du porc breton, du lait normand et du blé de Beauce pas chers, mais à condition de pouvoir aussi y boire de l’eau du robinet, prévenir le cancer et se baigner sur des plages dépourvues d’algues !

Il importe donc de préparer dès maintenant la suite, la nouvelle agriculture qui permette de produire plus et mieux avecmoins. Elle est évidemment beaucoup plus difficile à mettre en œuvre que la précédente, qui consistait à produire plus, pas toujours bien, mais avec toujours plus ! C’est d’autant plus urgent que les français comme les autres européens ont décidé de se passer de l’autre grande alternative de l’agriculture, la révolution des OGM, qui semble permettre d’intégrer progressivement les fonctions actuellement industrialisées au cœur même des plantes, dans leurs gènes. Rappelons que, malgré le fait que nous n’en sommes qu’aux balbutiements de cette technique, avec deux OGM très imparfaits et peu utiles, un « insecticide intégré » et un « compatible avec les herbicides », il y a déjà 17 millions d’agriculteurs qui y recourent, soit plus qu’il y en a dans l’Europe des 28, et qu’ils recouvrent un champ sur dix sur la planète soit 8 fois la superficie agricole de la France ; il s’agit d’ores et déjà d’un phénomène massif…

Nous devons donc foncer vers la redécouverte de l’agronomie, qui avait été fort négligée depuis des décennies. Les nouvelles frontières à explorer sont celles de l’agroécologie ou de l’agriculture écologiquement intensive, par exemple :

·     Moins de labours, ou plus du tout, pour laisser nos champs couverts 365 jours par an, aptes à capter les rayons du soleil pour fixer du carbone et de l’azote été comme hiver, et laisser la vie du sol s’organiser : vers de terre, champignons, bactéries, etc. Il est urgent de transformer les anciens laboureurs en éleveurs de vers de terre post-modernes !

·     Davantage de mélanges des plantes qui s’aident mutuellement à pousser (avec racines superficielles et racines profondes, fixatrices et consommatrices d’azote, repousseuses des insectes qui attaquent leurs voisines, etc.).

·     Agroforesterie, pour aller chercher les éléments nutritifs à 5 m de profondeur (ce que font les arbres) et ne plus se contenter des 50 cm du maïs, avec de judicieuses combinaisons d’espèces gagnant-gagnant.

·     Multiplication des haies, corridors naturels et autres habitats des auxiliaires de cultures, oiseaux, chauve-souris, insectes, petits mammifères, etc., ou pour attirer les insectes prédateurs hors des champs.

·     Sans oublier les promesses du bio mimétisme ; par exemple, on verra probablement à terme au milieu des champs des boitiers émetteurs de molécules olfactives répulsives aux insectes prédateurs ou génératrices d’auto défense des plantes…

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Agroforesterie : une rangée d’arbres tous les 25 m, pour aller chercher les éléments nutritifs à plusieurs mètres de profondeur et héberger les auxiliaires de culture

Tout cela suppose une politique publique volontariste de recherche agricole et d’aide aux agriculteurs : investissements agro écologiques, incitations à l’expérimentation « écologiquement intensive », réorientation du soutien aux agrocarburants de première génération (à base de grains) vers la deuxième génération (toute la plante, et les déchets) et la troisième (algues, etc.). Sans oublier une politique de soutien à l’amélioration de l’alimentation et par conséquent de la santé publique : pour lutter efficacement contre l’obésité, les maladies cardio-vasculaires, les cancers, etc… et protéger la planète, il faudra dans nos pays manger moins de viande, moins de laitages, moins de sucre, moins de sel, et davantage de céréales, de légumineuses, de fruits et de légumes. Cela suppose également des aides à la reconversion d’une partie de notre élevage et à une relocalisation plus harmonieuse et moins polluante des activités agricoles sur l’ensemble du territoire, et évidemment une lutte pied à pied contre le gâchis alimentaire, véritable plaie de notre société (on jette le tiers de la production agricole mondiale, 1 milliard de tonnes par an, et l’équivalent de 280 kilos par français).

La politique agricole commune coûterait cher en cette période de crise ? Tout d’abord relativisons : le poids qu’elle représente dans le budget européen n’est que le signe de notre absence de goût pour l’Europe, alors même que l’ensemble du budget de l’Europe n’atteint même pas le montant du seul déficit du budget de la France ; si nous transférions d’autres politiques à Bruxelles, comme la Défense ou l’Enseignement supérieur, et nous aurions alors une autre vision. Et surtout n’oublions pas que si la sécurité alimentaire semble assurée sur notre continent, elle est très récente et reste très menacée, et que les pénuries alimentaires qui se multiplient au XXIe siècle sur les autres continents vont, elles, leur coûter très cher, économiquement et politiquement. Il ne faut pas arrêter la Politique Agricole Commune, il faut généraliser des systèmes de protection des frontières et de soutien aux agriculteurs sur l’ensemble de la planète.

Article écrit pour le magazine “L’Humanité Dimanche” 

SOURCE:

http://nourrir-manger.fr/

[Merci à Claude]

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