"L'Europe d'Angela Merkel, ou la revanche du Saint-Empire romain germanique" Par Jean-Louis Harouel
[NOTE DE LA REDACTION : excellent article publié en octobre 2014, qui doit être relu pour sa pertinence ! jluc Pujo]
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Publié le 23/10/2014 à 19h20
FIGAROVOX/OPINION - Pour Jean-Louis Harouel, la construction européenne a entraîné une nouvelle forme de guerre, non plus militaire mais économique. La France pourrait bien en sortir vaincue.
L'Union européenne constitue à bien des égards un retour du Saint-Empire romain germanique, ce vaste ensemble politique qui, au Moyen Âge, avait pour noyau et centre décisionnel l'Allemagne, autour de laquelle étaient groupés des territoires italiens, francophones, flamands, slaves.
S'y ajoutait un glacis de pays vassaux tels que Pologne, Hongrie, Danemark. Même l'Angleterre fut un moment contrainte de se reconnaître vassale de l'Empire. Paré du titre impérial, le roi d'Allemagne se prétendait le chef séculier de l'Europe occidentale.
Ce qui n'était pas prévu, c'est que la construction européenne entraînerait une autre forme de guerre économique, celle-là dont la France serait la grande victime.
Le seul pays ayant toujours résisté à cette prétention fut la France. Celle-ci, dans sa construction millénaire, s'est faite contre l'Empire germanique. L'idée d'Europe impériale allemande était la négation de l'idée de France. Or, la France a choisi d'appartenir à une structure impériale dominée par l'Allemagne. Elle est en train d'en mourir.
Si le processus de construction européenne a débouché sur une Europe allemande, c'est tout particulièrement à cause de la politique d'intégration monétaire. Dans le Serpent monétaire européen institué en 1972 et surtout dans le Système monétaire européen qui lui a succédé en 1979, le lien mécanique entre les valeurs des monnaies, avec une très faible marge de fluctuation, a favorisé une prise du pouvoir par l'Allemagne, spécialement en la personne du gouverneur de la Bundesbank.
Dès les années 1980, le gouverneur de la Bundesbank était maître du pouvoir monétaire et donc économique en Europe. Ses décisions, prises en fonction des intérêts allemands, pouvaient ruiner d'autres économies. La désindustrialisation de la France n'est pas seulement la conséquence des délocalisations et transferts de technologie vers les pays à bas salaires. À l'origine de la catastrophe, il y a eu les ravages causés à l'industrie française par l'intégration monétaire qui, en interdisant au franc de se déprécier par rapport au mark, a handicapé constamment l'économie française en lui imposant une monnaie artificiellement surévaluée.
D'où un déficit de compétitivité dont l'industrie allemande a tiré parti pour livrer un combat impitoyable à l'industrie française. Les promoteurs du projet européen voulaient empêcher le retour de la guerre en réconciliant la France et l'Allemagne. En cela, le succès est total. Mais, ce qui n'était pas prévu, c'est que la construction européenne entraînerait une autre forme de guerre- économique, celle-là - dontla France serait la grande victime.
Voici près de trente ans, le chroniqueur économique Philippe Durupt observait que la cherté du franc avait fourni à l'industrie allemande un avantage monétaire qui lui avait permis de s'imposer sur le marché intérieur français, y réalisant de grands bénéfices tandis que les industriels français, contraints de se battre sur les prix, n'y avaient que de minces profits, voire des pertes.
Dans sa version militaire, la dernière tentative de recréer une Europe impériale allemande a chaviré dans une sanglante apocalypse. Pourtant, le rêve d'une France désindustrialisée au pied d'une Allemagne hautement industrielle est en train de se réaliser.
Philippe Durupt concluait, de façon prophétique, qu'une industrie handicapée par une monnaie à la valeur excessive ne pouvait se régénérer faute d'investir suffisamment, si bien que sa vulnérabilité allait s'étendre à l'ensemble de ses relations commerciales.
Bien avant l'euro, cela fait près de quarante ans que la France souffre d'une monnaie trop chère. Elle y a perdu son industrie. D'où la montée du chômage qui a exacerbé sur un mode délirant la tendance française à une surprotection du travail aux effets pervers puisque plombant encore plus l'activité économique et donc l'emploi.
Mais il est injuste d'accuser les Allemands. Ils ne voulaient pas d'intégration monétaire préalablement à l'harmonisation économique et budgétaire, et ce sont les dirigeants français qui ont insisté.
Dans sa version militaire, la dernière tentative de recréer une Europe impériale allemande a chaviré dans une sanglante apocalypse. Pourtant, le rêve d'une France désindustrialisée au pied d'une Allemagne hautement industrielle est en train de se réaliser. C'est le fruit d'un système impérial où la France est mécaniquement victime de l'Allemagne, sans que celle-ci le recherche ni en ait même forcément conscience.
Pour tenter de revivre, la France, qui s'était construite contre le Saint-Empire romain germanique, doit quitter ce nouvel empire germanique qu'est l'Union européenne.
Jean-Louis Harouel
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