Débats

INDUSTRIE & EURO : "Le gouvernement français au pied du mur" Jacques SAPIR

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La question du devenir de l’industrie automobile française s’invite à nouveau dans l’ordre du jour du gouvernement. Après l’affaire de l’usine d’Aulnay (PSA), le plan social « soft » de Renault, la question ressurgit en raison des résultats désastreux de PSA. La crise de l’automobile que l’on connaît depuis la fin de 2011 a particulièrement fragilisé le groupe, qui a enregistré des pertes sévères. Elle est particulièrement accentuée par la surévaluation de l’Euro et par la contraction de la demande à l’échelle de l’Europe dans laquelle nous sommes plongés pour…sauver l’Euro ! Mais, en fait, elle dure depuis des années. La France perd des capacités de production alors que l’Allemagne en gagne dans ce secteur. On voit bien ici le rôle néfaste joué par la monnaie unique, et le fait que l’autre grand groupe Français connaisse aussi des difficultés vient confirmer le diagnostic. Compte tenu de l’importance de la filière dans l’industrie française, avec ces sous-traitants divers, c’est bien à un problème majeur de politique industrielle que le gouvernement est confronté.

 Des pertes considérables

Depuis la fin de 2011, les pertes opérationnelles de PSA sont en effet de l’ordre de 200 millions d’Euro par mois. Les résultats consolidés indiquent quant à eux des pertes sur l’année 2012 qui sont estimées à plus de 5 milliards. Si la stabilité financière du groupe n’est pas encore directement mise en cause, ces pertes vont nécessairement peser sur l’investissement. Le groupe PSA, qui vient de déprécier massivement ses actifs, n’aura probablement pas le choix, même s’il refuse pour l’instant d’en évoquer la possibilité, que de se résoudre à une prise de participation de l’État. La question du développement des nouvelles techniques, et en particulier de la technologie des moteurs hybrides, demandera des sommes importantes. Par ailleurs, la sortie de nouveaux modèles, qui seuls sont capables de freiner la chute des ventes, demande aussi dans l’immédiat beaucoup d’argent frais. L’argent frais manquant, on ne voit pas comment – à terme – PSA pourrait refuser une entrée de l’État dans son capital.

Le gouvernement y « réfléchit » a-t-on appris vendredi 8 février au matin. Les raisons en sont évidentes. Nul gouvernement ne peut se permettre d’abandonner un groupe de cette importance, et cela est vrai en France mais aussi dans les autres pays. Jérôme Cahuzac, le Ministre du Budget a pour sa part reconnu que la possibilité existait pour l’État d’entrer dans le capital de PSA par l’intermédiaire du Fond Stratégique d’Investissement. Même s’il a été partiellement démenti par le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, mais le gouvernement n’en est plus à un « couac » près, la question est à l’évidence à l’ordre du jour.

Une telle opération n’aurait rien d’extraordinaire. Ce fut, après tout, la stratégie du gouvernement américain en 2009. Mais elle pose un certain nombre de problèmes. En effet, une entrée dans le capital d’un groupe connaissant de grandes difficultés présente deux types de risques pour l’État. Il y a d’abord un risque économique. Dans la pire des situations l’argent de l’État, et donc des contribuables, peut être dépensé à fonds perdus si la société n’arrive pas à se redresser. Il faudra alors engager de nouvelles sommes, et pour un résultat incertain. Il y a ensuite un risque politique. L’État peut être contraint d’avaliser, et même de promouvoir, un plan social draconien faisant ainsi le travail d’un patron « privé ». Après avoir apporté son soutien aux ouvriers de l’usine d’Aulnay pendant la campagne présidentielle, François Hollande pourrait être contraint de déléguer à son gouvernement la tâche de restructurer brutalement PSA. Le gouvernement se ferait alors le bras armé de nouvelles réductions d’effectifs. Assurément, cela n’empêchera pas le Ministre de l’intérieur de dormir, et il faut prendre au sérieux les avertissements qu’il a lancés aux syndicats. On voit bien que Manuel Valls s’apprête à endosser le costume de Jules Moch, le ministre socialiste responsable de la répression anti-ouvrière à la fin des années quarante. Cela impliquerait une cassure lourde de conséquences entre le gouvernement et une grande partie des salariés français, cassure dont les conséquences politiques pourraient s’étaler sur au moins une décennie. À l’inverse, s’il se refuse à assumer les plans sociaux, le gouvernement prend le risque de voir l’hémorragie financière se poursuivre. On le voit, une prise de participation, surtout si elle doit être importante, de l’État ne peut et ne doit se faire en dehors d’une politique industrielle cohérente. Telle est la leçon que l’on peut retenir des événements qui se précipitent depuis le mois de juin dernier. Arnaud Montebourg, le Ministre du redressement productif est ici au pied du mur.

 La cohérence de la politique industrielle.

Ceci pose le problème de cohérence générale de la politique du gouvernement. Il n’est pas possible d’avoir une politique industrielle sans réfléchir sérieusement à l’évolution de la demande, tant en France que chez ses voisins, et sans penser la compétitivité à travers l’instrument du taux de change. Ceci a été parfaitement compris dans d’autres pays. Au Japon comme aux Etats-Unis, on cherche à recréer des conditions favorables à l’industrie par une dépréciation importante de la monnaie. Pour l’heure, tel n’est pas le cas en France. Pourtant, le Président François Hollande s’est ému, à la suite d’Arnaud Montebourg et de Pierre Moscovici du niveau actuel de l’Euro. Avec un taux de change de 1,33 Dollars contre un Euro, l’industrie française perd une large part de sa compétitivité, dans la mesure où nous faisons 50% de notre commerce international hors de la zone Euro. Ceci avait été déjà signalé par Louis Gallois dans le rapport qu’il remit au gouvernement au début du mois de novembre 2005[1]. Mais, la question de la compétitivité ne se limite pas à l’appréciation actuelle de l’Euro. L’industrie française est durement concurrencée par des pays qui combinent une productivité proche des niveaux que nous atteignons, mais dont les salaires sont considérablement plus bas. C’est le problème du dumping social, dont certains des acteurs sont présents au sein même de l’Union Européenne.

Tableau 1

Caractéristiques du salaire horaire moyen brut

Salaire moyen horaire (Euro)

Part des CDD

Part du revenu lié aux heures supplémentaires

République Tchèque

3,0

12,0%

46,5%

Slovaquie

2,4

9,6%

21,9%

Lettonie

1,5

7,1%

2,3%

Lituanie

1,5

10,5%

3,0%

Portugal

5,8

21,4%

7,4%

Espagne

8,6

26,8%

6,9%

Italie

11,0

3,5%

36,6%

Belgique

17,1

4,0%

2,3%

Pays-Bas

16,3

12,5%

12,7%

FRANCE

17,8

Source : F. Rycx, I. Tojerow, D. Valsamis, Wage Differentials Across Sectors in Europe : an East-West Comparison, WP 2008.05, ETUI, Bruxelles, 2008.

Face à ce problème il faudrait pouvoir combiner une importante dévaluation (comprise entre 25% et 30%) et des mesures tarifaires de protection. La question du protectionnisme, admise dans de nombreuses études économiques, est ici politiquement posée[2]. Pour le moment la politique du gouvernement se limite à une action au coup par coup. Il s’agit de sauver ce qui peut encore l’être du tissu industriel français. Ceci n’augure pas favorablement de ce que pourrait signifier une entrée dans le capital de PSA. Une politique globale, s’adressant tant aux grandes entreprises qu’à leurs sous-traitants et visant à la réindustrialisation du pays s’impose. Mais, la cohérence de cette politique passe aussi par l’instrument monétaire. Il n’y a pas de sens à mettre en place une telle politique quand la demande interne s’effondre et que la demande extérieure est atone. Il n’y a pas de sens à mettre en place une telle politique avec une monnaie fortement surévaluée. On sait qu’une hausse de 10% du taux de change entraîne mécaniquement une contraction du PIB de 0,6% la première année et de 1,2% la seconde année[3].

 Rompre avec une Europe morte.

La France a donc besoin d’une monnaie dont le taux de change serait compris entre 1,00 et 1,05 dollar, au plus, si elle veut mener une telle politique. Elle ne pourra l’obtenir dans le cadre de l’Euro. Et c’est bien là que le bât blesse. En s’en tenant à une défense de l’euro, le gouvernement se prive des moyens de concevoir et de mettre en œuvre une telle politique. On peut ici mesurer l’incohérence de la politique française. Les négociations sur le budget européen pour 2014-2020 qui ont eu lieu à Bruxelles dans la nuit du 7 au 8 février ont administré la preuve éclatante que le « projet » européen était dans l’impasse et que seuls comptaient les intérêts de chaque pays. L’alliance de circonstance entre David Cameron en Angela Merkel s’est imposée à François Hollande. De l’idée de procéder à une relance européenne, idée qu’il défend depuis son arrivée au pouvoir et au nom de laquelle il a fait ratifier le TSCG, il n’est rien resté. Or, cette idée est la clé de voûte de la survie de la zone Euro. Sans une politique de relance à l’échelle européenne, tout le monde sait que les mesures d’austérité qui ont été imposées depuis 2010 deviendront très rapidement insupportables. Des craquements se font déjà entendre en Espagne et en Italie. Quant à la Grèce, elle sera en défaut de paiements d’ici à la fin du mois de juin. Il faut avoir le courage d’en tirer les leçons. Aujourd’hui, la seule issue pour notre pays réside dans l’adoption de mesures unilatérales, et en particulier dans une sortie de l’Euro. C’est la seule solution si nous voulons conserver une industrie puissante dans notre pays.


[1] L. Gallois, Pacte pour la Compétitivité de l’Industrie Française, rapport pour le Premier ministre, 5 novembre 2012, p. 50.

[2] Voir P. Artus « Pourquoi l’ouverture aux échanges semble être défavorables dans certains cas ? », Flash-IXIS, n° 2004-53, 17 février 2004. P. Artus, « Quels risques pèsent sur les salariés européens ? », Flash-IXIS, n° 2006-153, 11 avril 2006.

[3] F. Cachia, « Les effets de l’appréciation de l’euro sur l’économie française », Note de Synthèse de l’INSEE, Paris, INSEE, 20 juin 2008

SOURCE:

http://russeurope.hypotheses.org/846

Mot clés : EURO - industrie - jacques sapir - SAPIR

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