« Globalisation financière et libre-échange : l’aggiornamento attendu » PAR GAËL BRUSTIER (*)
Comment la gauche peut-elle reconquérir le vote des classes populaires ?
Après ces élections régionales, le grand impensé de la gauche française demeure la nouvelle géographie sociale du pays. Les chiffres parlent et les faits sont têtus. La gauche n’a pas reconquis les classes populaires. 53,65 % des Français se sont détournés des urnes dimanche dernier. 20,2 millions de Français seulement se sont donc déplacés et, parmi eux, 750 000 ont voté blanc ou nul. Seulement 44,63 % des Français ont donc émis un choix positif pour un parti ou un autre. Rappelons seulement qu’il y avait 36,7 millions d’électeurs au premier tour de la présidentielle de 2007… Pour la République, la volatilisation de 16,5 millions d’électeurs est un fait grave. Pour la gauche, la situation est extrêmement préoccupante. De victoires en trompe-l’œil en myopie historique, c’est la capacité des forces de gauche à peser durablement qui est posée. Au-delà des légitimes stratégies adoptées par chacune des familles de la gauche française, au-delà de la non moins légitime satisfaction du bon résultat relatif des uns et des autres, il importe de poser quelques questions fondamentales.
La gauche n’a donc pas reconquis les classes populaires. Si l’on tient compte de l’abstention, les forces de gauche ne progressent nullement, en particulier dans la France périphérique et majoritaire. La droite, en revanche, payant les conséquences d’une campagne confinant à l’incompréhensible, a été délaissée par ces mêmes classes populaires qui s’étaient tournées vers Nicolas Sarkozy en 2007. Les marges de l’aire urbaine parisienne sont ainsi marquées par un net reflux de la participation civique, bien supérieur au recul enregistré dans les villes centres. Une fois de plus, la France périphérique, majoritaire, celle des classes populaires, des ouvriers et des employés, s’est massivement détournée du vote.
Les scores des partis de gauche sont très forts là où les classes populaires sont largement absentes : 67,1 % des électeurs du 3e arrondissement de Paris se sont prononcés pour les listes de gauche et d’extrême gauche. Europe Écologie demeure le parti de catégories sociales minoritaires concentrées, pour l’essentiel, dans les métropoles. Quant au vote Modem, PS, écologiste, il est, dans les métropoles également, victimes d’un effet de va-et-vient et de vases communicants permanent, de la présidentielle aux régionales en passant par les européennes. Le phénomène est évident à Paris. Pis, sur l’ensemble de la France, on constate un jeu à somme nulle en termes de nombre de voix portées sur la gauche dans sa grande diversité (PS et Europe Écologie d’une part, Front de gauche et NPA d’autre part). On n’assiste nullement à un effondrement de l’UMP par rapport à 2004 mais en revanche à celui du nombre des voix accordées au centre droit (de l’UDF au Modem, les pertes se chiffrent en millions). L’hypothèse à retenir semble être celle d’une crise interne à la droite française. La vieille droite française ne veut pas mourir, la nouvelle droite ne parvient pas à naître. Nicolas Sarkozy est-il en passe, de ce point de vue, de perdre le pari de sa révolution conservatrice ? A-t-il lu, lui qui disait s’en inspirer, Gramsci jusqu’au bout ? Comme son élection en 2007, la crise de la droite se lit dans la géographie sociale de notre pays, une géographie encore hélas largement ignorée par les quelques intellectuels de système qui font l’opinion d’une social-démocratie en panne de carburant idéologique.
Face à cette géographie sociale française qui oppose des villes centres connectées à la mondialisation néolibérale et des zones périphériques qui en pâtissent fortement, les forces de gauche, dans leur diversité, semblent avoir curieusement adopté un unique mot d’ordre : « Ne pas désespérer la rue Montorgueil ! » De fait, elles ne parviennent pas à reconquérir les suffrages de cette France majoritaire et périphérique, de la France des usines qui ferment et dont les habitants craignent chaque semaine une délocalisation ou un plan social. L’abstention revêt de la part de ces électeurs une dimension d’insoumission civique manifeste. Il y a pourtant, en France, de la part des classes populaires une aspiration à voir renaître un vrai projet politique pour leur pays…
La difficulté à délivrer une vision du monde cohérente et porteuse d’espoir dans des élections régionales est réelle. Bien souvent, les conseils régionaux sont considérés comme des infirmières parcourant le champ de bataille dévasté de la mondialisation néolibérale. Il faut désormais penser au-delà de ces élections et bâtir une coalition sociale majoritaire pour l’élection présidentielle de 2012. Les forces de gauche devront faire leur aggiornamento sur la question de la globalisation financière et du libre-échange notamment. La France demeure, à 60 %, un pays d’ouvriers et d’employés. C’est à eux qu’il s’agit de parler. Si l’on veut être électoralement efficace, il importe de penser en nombre d’inscrits et non de votants. Qu’adviendra-t-il d’une gauche qui gagnerait avec une faible participation ? Elle serait victime de l’hégémonie culturelle d’une droite qui, dans tout l’Occident, n’a pas désarmé, loin de là. Le moment historique que nous vivons incite la gauche à engager un véritable combat culturel et à retrouver les classes populaires. En aura-t-elle la volonté ?
(*) Coauteur de Recherche le peuple désespérément, Bourin Éditeur, 2009.
Gael est également membre du comité POLITIQUE-ACTU.COM
SOURCE :